
Le 5 décembre 2021, je vous avais quittés après vous avoir promenés avec les Vincent entre leurs naissances et leurs changements d’état civil en reprenant le nom de leur mère : Duhard.
Les lendemains de cette époque sont marqués par des souvenirs importants. Je vais narrer ce que nous savons sur papa et maman, les souvenirs qu’ils nous ont racontés. Pour maman, cela va être vite fait, sans être banal : elle a vécu ses 20 premières années comme toutes les gamines de son âge vivant dans un milieu familial d’artisans de cette époque.
Sa vie a changé le jour de ses seize ans quand papa est venu lui souhaiter son anniversaire. De ce jour-là, sans en savoir plus, ils ont l’un comme l’autre pris un engagement ! Je ne suis pas sûr qu’ils nous aient conté cet instant, mais ils nous l’ont laissé à entendre.
J’ai toujours raisonné avec circonspection sur la démarche de papa qui a engagé, du haut de ses vingt et un ans, une gamine de seize ans ; bien leur en a pris, nous sommes témoins de deux vies communes pleines de tendresses. Comme relaté dans mon histoire IDENTITE VINCENT YVES parue le cinq décembre 2021, les événements qui se sont déroulés de leur arrivée à Chemillé jusqu’à leurs nouvelles identités.
Quant à maman, elle a eu la chance d’avoir un père et une mère qui ont donné à leurs trois filles, Jane, Paulette et Madeleine, une jeunesse très agréable, comme décrite dans mon histoire RAOUL ET MARIE LANTOINETTE.
Pour papa, il en est autrement. Bien qu’il n’ait gardé en mémoire aucun ressentiment désagréable (tout du moins il ne nous en a jamais parlé), je pense aux deux jumeaux qui se sont retrouvés placés comme bergers à 12 ans après leur certificat d’études (papa aimait à nous dire qu’il avait été reçu comme étant le premier du canton), dans des fermes qui, je crois, ont été choisies par la nourrice avec l’aide du curé, celle-ci étant partisane d’une vie paroissiale. Je ne peux faire autrement que de constater cet état de fait : aujourd’hui encore, j’entretiens des relations d’amitié avec un de ses fils, Jean-Luc (le même qui intervient dans mes commentaires).
Ces deux gamins, Raoul et Henri, dans ces fermes, employés en tant que pâtres des troupeaux de moutons dans ces bâtisses éloignées l’une de l’autre que de quelques kilomètres. Pour Raoul, la famille vivant à La Graffinière ; les Rougeries chez les Rousseau pour Henry. Du fait de cette proximité, ils pouvaient aisément se retrouver pour partager leurs temps de loisirs.
Ils ont progressé l’un comme l’autre dans leurs carrières d’hommes de cour, ils sont devenus maîtres charretiers avant leur enrôlement dans l’armée.

Après avoir exécuté leurs services, ils sont revenus au village. Pour Tonton Henry, son avenir était tout tracé : ce polisson était devenu papa en 1936, soit l’année de ses vingt ans.
Une parenthèse afin de relater ce que papa m’a raconté de comment il a appris la grossesse de la jeune voisine : la jeune fille en question était la fille de la ferme voisine où Tonton gardait les moutons.

La photo ci-dessus est une maquette représentant les bâtiments où vivait la très jeune maman.
Le peu que je connais de cette anecdote, je vais le relater à ma façon. Les intimes et peut-être d’autres ne seront pas étonnés du plaisir que je vais prendre en racontant l’odyssée des jumeaux mis au pied du mur pour se sortir du pétrin où Tonton, en batifolant, avait commandé indépendamment de sa volonté une fille à venir.
C’est un dimanche après-midi, jour de repos pour nos deux jeunes pastoureaux, que le futur père en a avisé son frère. En l’informant qu’il voulait entraîner papa à la gendarmerie afin qu’ils s’engagent dans la Légion. Comme papa lui demandait la raison de cette attitude, Tonton lui a avoué son méfait, si cela en était un ? Car la petite Lucette, le fruit du « péché », est née en tant que petite reine dans une ambiance que j’ai appréciée bien des années plus tard ; la « fautive » n’est-elle point devenue ma marraine.
Pour en finir avec la période avant leur service militaire, il me faut justifier la raison de ces lignes. Quand cet événement prénatal est arrivé, nos deux lascars étaient mineurs et, du fait de leur état en tant que pupilles de la nation, ils étaient sous la tutelle du député du canton, un dénommé Camille Cuvier, vétérinaire de son état. Un avantage leur était donné : ils connaissaient ce praticien, n’est-ce pas, lui qui visitait leurs patrons quand les animaux étaient malades ?
Bien leur en a pris, ce monsieur a dénoué en tant que négociateur le dilemme posé par la grossesse de la jeune Paulette. Ce représentant des lois a dû mettre tout son ascendant pour convaincre les parents de la future maman. Pour ce qui est de papa, il a fait son service militaire en tant que zouave.
Il aimait à nous dire qu’il ne regrettait rien de sa période militaire, car il avait visité toutes les colonies de l’Afrique du Nord, de Rabat à Alexandrie :
Rabat, Maroc ; Alger, Algérie ; Tunis, Tunisie ; Tripoli, Libye ; Alexandrie, Égypte.

ii est bien, bon, et beau de maintenir dans une certaine réalité les souvenirs de nos parents éloignés en un autre univers, mais aussi de toutes celles, de tous ceux que nous avons cotoyés..
J’ose croire qu’ils n’ont point disparu.
Alors, vieil Ami continue ton oeuvre à confondre les temps.
J’aime à rêver devant cette charmante maquette de la « Ferme Idéale » où l’herbe est verte, bleue l’eau de la mare, absents le tas de fumier et les divers outils, pelle, fourche, bêche, pioche, qui trainent habituellement au gré des besognes… Les chiens rassemblent le troupeau de moutons pour les pâturages, et les vaches pour la traite, les chevaux vont boire à l’abreuvoir, poules et oies cherchent pitance en terre, en un joyeux caquetage.
Ne manque pas un rolon aux échelles, ni une tuile sur les toitures dépourvues de mousse. A l’intérieur du logis, dans l’âtre de la cheminée, sous un feu de bûches, la marmite mi couverte bouillonne doucement en laissant échapper les vapeurs d’un appétissant fumet. Au dessus, sur la poutre brunie du manteau, dort le pot à sel en grès, accompagné de son égrugeoir, sorte de mortier avec pilon de bois. A l’autre main, un paquet entamé de cartouches de 16 aux douilles brillantes, semble faire de l’œil au vieux fusil à chiens apparents et canons juxtaposés, accroché par sa bretelle de cuir usée à un gros clou rouillé. Une seille humide avec sa cassotte repose sur la pierre à évier. Au fond de la pièce trône le haut lit de bois avec son édredon rouge, surmonté d’un grand crucifix de bois noir. Devant la cheminée, au dessus de la vaste table rectangulaire, la suspension de porcelaine blanche à pétrole sert de perchoir à un essaim de bourdonnantes mouches Dans un coin sombre de la pièce, la vieille horloge comtoise de parquet, rythme l’inépuisable temps de son balancier doré. FR