5 octobre 2024

PARIS I

Mon départ dans le monde du travail !

Mon CAP d’ajusteur fraiseur en poche, autrement dit de mécanique générale, un des deux seuls diplômes en ma possession avec le certificat d’études, je ne tiens pas compte des examens, de mes communions solennelles, première et deuxième, aujourd’hui appelées professions de foi, et celui de la confirmation. Anecdote de ce jour de confirmation, mon parrain de ce sacrement était Jean-Luc Chaurin.

Il me reste en souvenir l’arrivée de l’évêque du diocèse de Tours, Monseigneur Gaillard, tout vêtu de violet, avec la barrette. Je crois me rappeler qu’elle était agrémentée d’une houppette de la même couleur. Tous les gamins dont je faisais partie étaient très impressionnés par le cérémonial, dû à la descente du prélat de sa limousine. Une grosse voiture noire avec marche pieds, la portière tenue ouverte par un chauffeur en uniforme avec casquette. Tous les enfants de chœurs, les curés des paroisses voisines venus en renfort, tous ces représentants du clergé ayant, pour cet événement, passé leurs plus beaux apparats. Je garde encore en mémoire la vision de ce panel de couleurs. Cela devait être mon premier spectacle avec autant de chatoiement. Il est vrai que cet événement se déroula en 1951, l’année de mes sept ans.

Il est vraisemblable qu’à cette époque, je n’avais jamais vu de film en couleur. Les seuls spectacles de projections étaient des séances de diapositives au patronage de la paroisse, entre autres des histoires de Tintin en noir et blanc. Ce qui tombait bien, cette aventure se déroulait dans un pays enneigé où on voyait notre héros se poser à bord d’un avion sur une banquise. Il y avait aussi des films muets de Charlot, de Laurel et Hardy, mais tous ces spectacles étaient les mêmes en noir et blanc.

C’est à l’école, quelques années plus tard, que la commune équipa celle-ci d’un appareil de projection, ce qui permettait à Monsieur Hémeri, notre instituteur, de nous passer des films documentaires ainsi que des films d’aventures. C’était en général des récits de bons enfants, mais si par hasard, dans une séance un peu osée « pour l’époque », un baiser ou une partie de corps féminin dévoilé devait apparaître sur l’écran, il simulait une panne : la fracture du film. Cela lui permettait de sauter les passages scabreux à ses yeux, et oui, c’était une autre époque. Je ne sais pas si cette façon était la bonne, mais ce qui est sûr, cela devait animer notre curiosité (et oui, la chanson de Souchon n’était pas encore écrite, mais le sujet du texte était déjà tout trouvé, il n’y avait plus qu’à le mettre en parole, je laisse à votre perspicacité de trouver la chanson).

Revenons au sujet de ma narration. Mon premier emploi, je le dois à Monsieur Claude Leddet. L’année précédant ma fin d’apprentissage, Papa avait entrepris un chantier pour étancher le bief d’un ancien moulin appartenant à ce monsieur. Pendant les vacances, il n’était pas question que nous restions inoccupés. Nous faisions partie de la main-d’œuvre pour mener à bien ce chantier. Ce fut lors d’une conversation que le client me questionna sur mes projets d’avenir. Je m’entends encore lui répondre : je rentre dans ma troisième année d’apprentissage en qualité d’ajusteur, et si, comme je l’espère, je suis reçu à l’examen de fin d’apprentissage, mon vœu serait de monter travailler à Paris. Ce à quoi il me répondit : reviens me voir après ton examen, je me charge de te trouver une place dans l’entreprise où je travaille. Cette entreprise était la THOMSON HOUSTON, localisée à Gennevilliers dans la banlieue nord de Paris.

Dans ces chantiers entrepris par papa où nous étions obligés de coopérer pendant les vacances sans possibilité de nous dérober, je garde un très bon souvenir de deux chantiers se déroulant dans des anciens moulins : Maupas et Le Chaillou. Il y avait tout pour me plaire : un cadre paradisiaque pour celui de Maupas, un petit ruisseau que nous nommions le ruisseau de la fontaine Saint-Martin, canalisé afin d’obtenir une chute d’eau pour faire tourner la roue de cet ancien moulin.

Chose merveilleuse, nous pouvions pécher des écrevisses en soulevant les pierres. Dans mon fort intérieur, je rêvais de la vie du garde chasse, locataire des anciens bâtiments du moulin transformés en maison d’habitation et en rendez-vous de chasse. Tout était vert et bleu, la futaie se reflétait dans le miroir d’eau que dessinait le bief et, comme nous étions en juillet et août, en voyant le garde chasse revenir de son tour de ronde sous les ombrages des allées forestières. J’imaginais une vie où nous étions payés pour nous promener, oublions le fusil, seule contrainte, mais obligatoire au point de vue d’aujourd’hui. À l’époque, ce fait ne me choquait pas. Le travail de ce monsieur étant de détruire les animaux dits nuisibles (des prédateurs) afin de protéger le gibier qui ne connaîtra pas un meilleur sort dès l’ouverture de la chasse.

En repensant à cette futaie, renaît un souvenir de ma toute petite enfance. Je devais être âgé de six ou sept ans, guère plus. L’hiver, papa et tonton Henri abattaient du bois de chauffage dans cette futaie ; nous les accompagnions, Jean et moi. Je crois me souvenir que Jean-François et Michel Loiseau, nos cousins, devaient être des nôtres. Ce travail consistait à abattre des arbres sélectionnés de tailles relativement petites, ce qui valait la nomination futaie à cette parcelle de forêt. Tonton et papa abattaient les arbres des hêtres, des frênes et des charmes, nous élaguions les branchages. Ceux-ci étaient destinés à faire des bourrées, autrement dit des fagots. Les troncs sectionnés en bout d’un mètre étaient disposés en tas d’un mètre de haut et de trois mètres de long. Ces monticules d’un volume de trois stères se nommaient une corde, ce qui correspondait à un chargement tenant sur une charrette tirée par un cheval.

Finit le décor ; nous étions occupés à travailler. Étant le plus petit de ces bûcherons d’un jour, il m’était dévolu de brûler les brindilles ou charmilles non utilisables. J’adorais cette tâche, ayant une passion pour le feu. Tout était calme autour de nous, hormis le bruit des haches, des serpes et le crépitement du feu, quand soudain, un bruit de moteur vint rompre ce silence relatif, ce qui me fit dire d’un ton interrogatif : qu’est-ce que ce « bordel » là ? Que n’avais-je pas dit là ? Papa, témoin de ces propos, me passa une engueulade due à l’emploi de ce gros mot. Encore aujourd’hui, je trouve cette remontrance très disproportionnée vu l’importance du délit. Mot dont la signification n’invoquait pour moi qu’un adjectif ne définissant rien de bien précis, sinon un mot passe-partout que l’on utilise pour nommer un ensemble de choses non définies. Il est certain que je ne connaissais pas la véritable signification de ce mot. Fini pour cet aparté.

L’année suivante de ce chantier, mon diplôme en poche, je suis allé frapper à la porte de ce monsieur au château de la Marchére. Homme de parole, il a fait le nécessaire et c’est pourquoi mon embauche fut facilitée dans la société THOMSON HOUSTON où il occupait un poste de directeur au niveau des usines de Gennevilliers, mais pour exécuter quel travail ? Je ne sais pas, il est vraisemblable à présent que je ne le saurais jamais. Tout ce que je sais, pour avoir passé 3 ans dans cette entreprise, est que ce M. était respecté par tout le monde. Il avait un bureau et une secrétaire, une dame d’un certain âge avec laquelle j’avais sympathisé.

J’interromps là mon récit pour ne pas vous lasser, mais sachez qu’il y a une suite qui paraitra dans les semaines à suivre.

1 Comment

  • A l’époque, il n’y avait pas de tronçonneuse, c’était la passe-partout longue lame à grosses dents de 180 cm de longueurque l’on actionnait à deux. J’admirai l’affutage.
    Dans la suite de Maupas tu expliqueras la technique du béton. On n’avait pas de bétonneuse.
    De bons souvenirs.

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