L’arrivée de deux lardons.
J’étais à l’époque représentant en matériel agricole pour une société. Un soir, je vis un jeune homme dans le bureau du directeur en compagnie d’un de mes patrons. Je sus plus tard que celui-ci était représentant pour un pavillonneur et que le but de cette visite était de vendre un pavillon à un de mes patrons, ce qu’il réussit. Lors de cette transaction, il fut proposé à ce vendeur de pavillon de venir travailler dans notre société, ce qu’il accepta.
Quand il fut embauché, nous nous sommes vus presque tous les matins au rapport. De là, une amitié est née et nos épouses ont tout de suite sympathisé. Nous passions une grande partie de nos loisirs ensemble.
Jean Pierre étant un adepte de l’ile de Noirmoutier pour y avoir passé ses vacances avec ses parents depuis sa petite enfance ; il nous invita à y séjourner un week-end. Ce séjour se révéla être une fête où nous avons dégusté des fruits de mer, des sardines grillées au feu de bois pour le petit déjeuner et une paëlla pour conclure, ma spécialité du moment.
La réussite de ce séjour nous permit d’envisager de passer nos vacances ensembles. Si Jean Pierre était adepte de l’île de Noirmoutier, Danièle et moi étions de farouches partisans de l’Espagne, particulièrement d’un petit coin des Asturies, la Franca où nous avions passé des vacances. Nous décidons de partir tous les quatre pour nos quinze jours de congé dans ce petit village Espagnol.
Ce voyage s’organisa avec comme moyens de locomotion les voitures de la société. J.P. Une R12, moi une SIMCA 1100. Notre première étape, un hôtel à San Sébastien. Je leur avais vanté l’Espagne comme un pays idyllique, étaient-ils très confiants ?
Au dîner, il nous a été servi un potage de poissons, un plat de résistance, une salade où Taté, l’épouse de J.P., a trouvé un ver de terre, nous en avons bien ri. (Le diminutif de Taté fut donné par Bénédicte, notre fille). Suite à ce repas, nous sommes allés dormir.
Le lendemain matin au petit déjeuner, nos amis nous racontent leur nuit : J.P. fut malade imputant ses malaises à une moule du potage pas fraiche, ensuite, sous la douche, la pomme de celle-ci lui tombe sur la tête et pour finir ce scénario catastrophe, Taté en s’asseyant sur la lunette des toilettes se retrouva pincée à une cuisse, ce qui provoqua même une cassure de cette lunette.
Départ après ce repas, direction La Franca où nous arrivons en fin de soirée. Notre séjour se déroula sans reproche de la part de nos amis, chose qui n’était pas gagnée d’avance car J.P., suite à notre première nuitée d’hôtel, avait prévenu Taté lui disant : si l’Espagne c’est ça on laisse les Duhard et nous rentrons. Nous avons passé des vacances relaxes ; Bénédicte notre fille n’avait que deux ans et Danièle mon épouse étant enceinte de trois mois.
Sur le chemin du retour, entre Burgos et Pampelune, nous avons failli casser les deux voitures de notre patron. Je précédais J.P. quand la voiture devant moi freina brusquement, m’obligeant à en faire autant. J.P. surpris lui aussi ne put faire autrement que de me doubler sur la droite, s’arrêtant à la hauteur de mes portières. Nous avons eu une pensée pour notre patron en imaginant sa réaction si nous lui avions annoncé ses deux voitures cassées en Espagne.
Tout ce blabla pour vous préparer à l’événement : au retour de nos vacances, nos amis nous apprennent la grossesse de Taté. Le futur bébé est attendu pour le mois de février, nous étions donc dans la même situation, notre bébé était prévu début janvier.
Le soir du vingt-huit décembre 1972, nous étions chez nous, quelqu’un frappe aux volets de la salle à manger, surprise le visiteur est J.P. Je lui demande ce qu’il vient faire et pour qu’elle raison est-il venu seul sans Taté ? ce n’est plus l’heure de venir ‘emmerder’ les honnêtes gens.
Ce à quoi il me répond : Taté est à la clinique, le bébé voulant avancer son entrée dans notre monde. Cette réponse me fait changer d’attitude, je l’invite à entrer, il obtempère, nous passons une partie de la soirée ensemble.
Nous étions tracassés car cette arrivée prématurée ne nous rassurait pas du tout. Il nous quitte pour aller dormir après avoir bu un verre ou deux, ce que nous faisons aussi. A cet instant, nous étions loin de nous imaginer un tel scénario à venir.
Le déroulement de ces événements ne s’est pas fait attendre. Le lendemain matin, vers sept heures, Bénédicte appelle, Danièle se lève pour l’accompagner aux toilettes, rien d’anormal jusque-là. Tout change quand Danièle m’annonce : il faut que tu te lèves notre futur bébé donne des signes de sa nouvelle venue.
Les premiers symptômes de son accouchements commençaient, ma première réaction fut de me dire, dépêches toi tu vas doubler ‘la femme à Lucas’. Branle-bas dans la maison, nous préparons notre fille et nous la déposons chez les parents de Danièle, nous filons à la clinique, cette clinique : les dames blanches où Taté était hospitalisée.
Une sœur que nous connaissons nous accueille. Elle se rappelle de nous pour la bonne raison : notre Bénédicte a vu le jour il y a à peine trois ans dans cette même clinique.
Dans l’ascenseur que nous empruntons, la sœur nous dit qu’elle va ausculter Danièle, nous lui demandons : Ma sœur, la future marraine de notre bébé est rentrée ici hier soir ? En lui précisant le nom Mme Lucas. Elle répond : vos bébés seront du même jour. Mme Lucas à accouché cette nuit d’un petit garçon : Éric.
Tout s’est passé normalement, nous expliquant que le bébé, au vu sa naissance prématurée avait été mis en couveuse à l’hôpital des enfants de Tours Clocheville et aucun soucis, tous ce petit monde, la maman et le bébé se portaient bien.
Je demande si je peux pendant l’examen de Danièle, rendre visite à Taté ? Sa réponse positive prononcée, je quitte ces deux femmes pour me rendre dans la chambre de la nouvelle maman. Dans le couloir, je me retrouve en face de J.P.. Tout étonné il me dit : qu’est-ce que tu fous là ? Ma réponse ne s’est pas fait attendre : la clinique ne t’appartiens pas, moi aussi je vais être papa et continuant la conversation je lui annonce que le bébé de Danièle montre des signes d’impatiences pour entrer dans notre monde.
Je ne peux m’empêcher de penser que notre ami a été un petit peu bouleversé, dans la précipitation pour venir rendre visite à la maman de son fils, il a provoqué un accident de voiture. Il se le rappelle car depuis, malgré des millions de kilomètres parcouru, pas de nouveaux accrochages.
Après l’examen clinique subit par Danièle, la sœur nous avisa que nous pouvions rentrer chez nous, la naissance serait bien pour ce jour mais en fin de soirée, nous obéîmes. Nous sommes revenus à la clinique vers 16 heures.
En prévision de cet accouchement, Danièle, avait retenu une chambre individuelle mais les agents hospitaliers, en prenant connaissance de l’amitié unissant les Lucas et les Duhard ont eu la gentillesse de regrouper Danièle et Taté dans la même chambre ce que nous découvrons en arrivant.
Danièle entra en salle d’accouchement vers 17h30. En mari modèle, j’assistais à la naissance du bébé. Comme la chambre de Taté se trouvait contigüe à la salle de travail, je tenais celle-ci au courant du déroulement de la naissance, lui rapportant les propos de la sage-femme. Énumérant les différents diamètres d’ouverture du col, imageant ses propos en comparant cette ouverture aux diamètres des pièces de monnaie : ‘nous en sommes à une pièce cent sous’ une pièce qui n’a plus cours depuis très longtemps mais qui nous sert encore, nous les anciens de référence quand il s’agit d’imager un diamètre.
Arnault notre bébé est entré dans notre monde d’une façon parfaite, ce difficile mais merveilleux moment passé, la maman et le bébé réintègre la chambre où Taté se reposait. Je reste pour tenir compagnie à tout ce petit monde, bien m’en a pris car subitement je m’aperçois que le comportement de Taté devient anormal, celle-ci allongée sur son lit, faisait des bonds de dix centimètres au moins. Voyant ces convulsions, je m’empresse d’appeler les infirmières, Taté étant dans l’impossibilité de le faire.
A l’arrivée des infirmières, nous nous sommes rendus contre que mon appel n’était pas superflu, vu l’expression de leur visage et la rapidité avec laquelle elles ont arrêté la transfusion du sang. Je ne connais rien en médecine mais on ne pourra pas m’empêcher de penser qu’une erreur de groupe sanguin était la cause de ce malaise, la transfusion ayant cessé, Taté retrouva un comportement normal.
Aujourd’hui encore je remémore à cette amie qu’elle m’est redevable de sa survie et de ce fait elle ne pouvait rien me refuser, j’ai bien dit tout. Hé bien cette dame pour s’exonérer de ce sous-entendu m’a annoncé que sa préférence allait aux hommes de grandes tailles, tout du moins plus grands que moi. J’en ai déduit que j’étais trop court. Voilà le remerciement mais comme vous le savez, je ne suis jamais déçu etc.
J.P. et moi, sachant nos épouses en sécurité et biens entourées et que la vie pour nous devait continuer, nous sommes allés dîner dans mon village Chemillé sur dême aux grands maisons, chez Simone Moreau. Il fallait bien que nous pensions aussi à nous. Au retour, pour arroser ces bébés, une bouteille d’eau de vie de poire nous attendait dans le bar de Danièle. Nous fîmes sérieusement honneur à ce divin breuvage, la délestant de la moitié de son contenu.
Les bébés étant nés, nous avions à accomplir les obligations pour l’état civil, ce que nous fîmes en duo à la mairie. Je ne sais pas pourquoi mais je passe en premier, la préposée m’interroge
Mr votre nom : DUHARD
Votre prénom : Yves
Votre domicile : Tours
Votre profession : Représentant
En quoi : matériel agricole
Où : B… à Monthodon 37
Profession de votre épouse : secrétaire médicale
Après ces réponses elle passe à J.P.
Mr votre nom : Lucas
Votre prénom : Jean Pierre
Votre domicile : Tours
Votre profession : Représentant,
En quoi : matériel agricole
Où : B… à Monthodon 37
Profession de votre épouse : secrétaire
A cette réponse, notre interlocutrice relève la tête et dit d’un ton interrogateur : Médicale ?
Cette formalité accomplie, nous nous sommes rendus à Clocheville pour voir Éric. Aux admissions, une jeune femme dit à J.P, pendant que vous êtes là, nous allons remplir le formulaire. Cette personne lui pose un tas de questions, à un moment elle rosit et dit : vous savez, d’habitude se sont les mamans que nous interrogeons. Dans l’élan de sa phrase, elle demande à mon ami : est-ce que vous vous rappelez de la date des dernières règles de votre épouse ? Celui très interrogatif, je ne sais toujours pas pourquoi se retourne vers moi et me demande tu t’en rappelles toi ? Et je lui ai répondu non que pouvais-je dire d’autre. Sur ce fait nous allons voir le bébé.
Le lendemain, passant devant Clocheville, je m’arrête pour prendre des nouvelles d’Éric. La jeune personne à qui nous avions eu affaire la veille viens au-devant de moi et me demande : c’est qui le papa ? Vous ou l’autre Monsieur ? Bien sûr, répondit l’autre.
Il fallait voir la tête des visiteurs, ceux qui nous connaissaient en temps qu’amis, mais n’étaient pas au courant de la coïncidence des deux naissances. Ils avaient comme première réaction un doute sur leur capacité de raisonnement, en entrant dans la chambre et voyant ces deux amies alitées.
Dernier acte, quand nous sommes allés annoncer à notre chef des ventes la naissance de nos poupons, arrivant chez lui, je dis : on vient vous informer d’une bonne nouvelle. Celui-ci me dit : Monsieur Duhard, laissez parler le papa !
Il était au courant pour J.P. mais pas pour moi. Je m’empresse de lui dire : mais moi aussi je suis papa ! Sa réflexion n’a pas tardé : ces deux-là, on a du mal à les envoyer travailler chacun de leur côté et ils arrivent à faire naître leurs enfants le même jour.
Voilà comment se termine l’épisode de nos bébés.
YD.
Voilà une belle destinée…
Bon dimanche
A bientôt