La phrase qui m’a embué les yeux le lundi 8 juin 2020 à 18 h15.
Ce n’était pas la première fois que ce « tas de pierres » (expression que j’ai beaucoup trop entendue) me faisait pleurer, mais aujourd’hui, c’est d’émotion et de joie, auparavant, c’était de chagrin.
Avant de narrer ces merveilleux instants de bonheur, il faut savoir qu’à moi seul, il m’aurait été impossible d’imaginer le déroulement des événements qui vont suivre. Cela dit, chacun pensera ce qu’il imaginera.
Cette bâtisse en question n’est pas n’importe quelle construction : c’est la maison de papa et maman, celle qu’ils ont imaginée et construite en 1952, pour loger leur petite famille composée de 5 enfants ; le sixième arrivera plus tard. Le luxe à cette époque. Tout le confort.
Papa, l’ancien petit berger moutonnier dans une ferme sise dans le village « la Grafiniére », a suivi la progression hiérarchique en finissant avant son service militaire comme charretier.
Son enrôlement dans l’armée terminée, il a travaillé comme maçon dans l’entreprise de son futur beau-père (Notre grand-père, soit dit en passant : un seigneur ! Ancien compagnon du devoir comme maçon).
Cet aparté clos, papa a élaboré les plans de notre sujet : sur la table de la salle à manger, il a présenté lui-même une première fois les plans aux organismes habilités à la délivrance des permis de construire. Cette demande lui a été refusée : en cause, les portes et les fenêtres étaient en demi-ronds dans la hauteur.
À la deuxième présentation, il a obtenu l’accord de l’administration et les travaux ont commencé dans les mois qui ont suivi.
Je ne m’éterniserai pas sur le déroulement de la construction, sinon qu’à part la plomberie, le chauffage et la plâtrerie, tous les autres travaux, c’est papa qui les a exécutés en nous mettant à contribution, maman, Jean (mon aîné), et moi.
Pour commencer, au creusement des tranchées, avant l’exécution des fondations, nous roulions les brouettes en compagnie de deux cousins, Jean-François et Michel de 8, 9, 11 et 12 ans.
Quand une semi-remorque de trente tonnes d’un rouge étincelant a livré les briques, papa nous prit par la taille et nous a hissé sur la plate-forme de la remorque et les trente tonnes de matériaux sont passées entre nos mains afin de décharger ce qui deviendra les murs et les cloisons de la maison. Je ne me rappelle plus pour les tuiles de la toiture, mais il est vraisemblable que nous ayons subi le même sort. Par contre, ce que je n’ai pas oublié, c’est la pose de ces éléments. Jean et votre serviteur avons passé, en nous déplaçant sur les lattes, ces tuiles au poseur qu’était papa.
Ce qui m’a fait dire bien des fois, par la suite, à notre « tortionnaire » :
– Tu sais papa, aujourd’hui, tu serais en prison.
Des gens bien, ou malintentionnés, assistaient en passant sur la route au spectacle de deux gamins de huit et neuf ans courant sur ce qui sera la toiture d’une maison à quatre niveaux sans aucun garde-fou ; c’est-à-dire sans aucune protection.
Ceci dit, revenons à mon émotion de ce huit juin en fin d’après-midi.
Il est vraisemblable que cette transaction soit la dernière maison que je vais négocier. Elle s’ajoutera aux plus de cinq cents autres ventes réalisées grâce à ma profession d’agent immobilier pendant 25 ans.
Par contre, celle-ci diffère de toutes les autres pour bien des raisons (Et quelles raisons ! Pas des moindres pour moi) et j’en suis certain comme il est dit plus haut, ce gîte à une âme. Ne serait-ce que par ma participation aux travaux, car nos vacances, les jeudi après-midi et vraisemblablement des dimanches après-midi aussi. Les matins de ces deux jours étaient réservés à la religion catholique, bien sûre. Pour le premier nommé, matinée de catéchisme et le second, la messe. Et c’était notre maison familiale, celle qui fut le témoin de nos vies pendant plus de cinquante ans.
La présentation sommaire étant faite, passons au motif de ce bavardage…
Ce lundi matin du 06 juin 2020, je reçois un appel téléphonique d’une personne intéressée par l’annonce de cette maison à vendre. Je passe le comment ce monsieur a eu mes coordonnées. Il est vraisemblable qu’une histoire et pas des plus nettes, ne viendra pas ornementer cette narration.
Lors de ce premier entretien, j’indique à mon interlocuteur la situation du bien en lui proposant de voir le jardin et les extérieurs avant de visiter l’intérieur. Nous nous quittons sur cette proposition.
En tout début d’après-midi, un nouvel appel de ce même homme m’avise, son épouse ayant fait le tour du jardin, qu’ils désireraient elle et lui voir l’intérieur de la maison. Nous nous mettons d’accord pour une visite ce jour à 18 h15.
Je me suis rendu sur place avec un quart d’heure d’avance pour ouvrir les volets, donner un petit coup de balai et enlever les toiles d’araignée.
À l’heure dite, ce couple avec un jeune garçon se pointe. Je les reçois et les invite à entrer. La maison est conçue avec une entrée qui donne sur la salle à manger. Pour l’instant, rien que de plus normal, croyez-en mon expérience avec mon passé d’agent immobilier et plus de 500 compromis signés.
Là, commence mon émoi. Ils ont franchi le seuil de l’entrée, se sont arrêtés à la porte de la salle à manger, se sont regardés et tous les deux ont prononcé cette phrase :
– Monsieur, cette maison a une âme. C’est ce que nous recherchons, une maison familiale avec son passé. Nous allons l’acheter.
Il en a résulté une conversation ; j’ai reconnu dans mes vis-à-vis, une culture de fervents catholiques. Ils désignaient Chemillé comme une paroisse, pas comme un village, ni une commune.
En moins fort, je retrouvais le même esprit que celui de maman. Comment !! Je me suis engouffré dans cette brèche en leur expliquant qu’ils ne trouveront pas, et de loin à la ronde, une maison dont la première pierre, posée au début de la construction, avait été bénite par le ratichon de Chemillé, accompagné d’enfants de chœur (Voir la photo ci-dessous, le grand à gauche : c’est Jean, le petit à droite c’est moi).
C’est à cet instant de l’échange que mes yeux se sont embués, en pensant que papa et maman devaient être aux anges, car la maison aurait dû être rasée dans une autre option. Sur ce que j’entendais, notre maison allait revivre de la plus belle des manières, dans l’esprit qui lui est propre : un cocon familial. Ce qui fut le cas jusqu’au départ de maman.
Ce n’est pas tout, le plus beau est à venir. La visite a commencé après ce début d’entretien. Au fur et à mesure de la visite, j’ai accentué sur le montant des travaux à exécuter afin de rendre habitable ce logis non habité depuis dix ans. À chaque signalement des réparations nécessaires à exécuter, j’avais la même réponse du couple :
– Ce n’est pas grave.
Et Dieu sait comment et pourquoi j’ai pris plaisir à charger la mule. J’ai fini en leur indiquant que je leur ferai parvenir le bilan du diagnostic pour qu’ils sachent bien dans quoi ils s’engageaient, avec les factures à venir. Voici leur réponse :
– Vous savez, cela ne peut pas être plus noir que ce que vous nous avez annoncé tout au long de la visite. Par contre, nous vous remercions de votre franchise et de votre honnêteté. Rien ne change, notre décision est toujours d’acheter cette maison. Tant et si bien que dans mon esprit, c’était une évidence, la maison était vendue !
Nous nous sommes quittés sur ces paroles. J’étais aux anges ! Je partageais avec papa et maman et grand-père Raoul, ce bonheur. Allez savoir pourquoi grand-mère Marie était absente. Il me fallait aller la chercher. Ce que je fis. Allez savoir pourquoi en couchant sur papier ces mots, mes yeux se brouillent encore ? Passons !!
Le lendemain matin, nouvel appel téléphonique émanant des visiteurs de la veille, me demandant la permission de retourner dans le jardin, en me précisant qu’ils ne désiraient pas revoir la maison, leur décision étant prise. Le but de cette excursion était de faire voir les extérieurs à leurs deux autres filles. J’ai concédé avec plaisir cette requête.
Tant et si bien que dans mon esprit, c’était une évidence. Ces mots me confortaient dans mon raisonnement. La maison était vendue. Ce que j’avais annoncé de façon formelle à mon retour de la première visite.
Mon instinct de vendeur ayant repris le dessus, j’ai repris la conversation de la veille en lui réexpliquant comment ils pourraient, dans le futur, lotir le terrain en trois lots à construire ; une parcelle pour chacune de ses filles.
C’est pourquoi j’ai changé l’appellation de la transaction en l’avisant qu’ils n’achetaient pas une maison, mais une propriété, ce qui s’avère vrai. Sa réponse fut spontanée, l’acheteur m’a tout de suite approuvé dans ma locution.
Suite à cette conversation, je dis à Danièle :
– Les acheteurs me demandent la permission de retourner se promener dans le jardin de la maison de Chemillé. Ils y vont ce soir comme je sais qu’ils vont l’acheter, je ne vais pas y aller.
J’avais du bricolage à finir, je m’y suis mis en me confortant dans ma décision de ne pas aller à cette contre-visite, et pourtant Danièle m’a relancé :
– Alors c’est vrai, tu ne retournes pas à Chemillé ?
– Je te dis qu’ils vont acheter, je n’ai pas besoin d’y aller.
Mon travail étant terminé vers cinq heures, il faisait un temps splendide. Je savais que les acheteurs seraient sur place vers 18 heures 15. J’avais grandement le temps de me rendre à la maison. J’avais changé d’avis en décidant de me rendre quand même à la rencontre des acheteurs.
Heureuse décision ! J’ai encore passé une heure de bonheur en leur compagnie. Pour les accueillir, j’avais ouvert toutes les ouvertures afin que le soleil illumine de ses rayons l’ensemble.
Comme la veille, je les ai vus arriver. Je me suis posté devant la porte d’entrée, ils sont sortis de leur véhicule, suivis de leurs trois enfants avec des visages affichant de larges sourires.
Je ne suis pas certain de la phrase prononcée par l’épouse, mais je crois, ne voulant entendre que ce que je veux bien entendre, qu’elle aurait dit :
– Merci Monsieur, c’est très agréable d’être accueilli dans notre maison de cette façon.
Ils ont présenté la maison aux enfants absents la veille, et ensuite, nous avons déambulé dans le jardin.
Mon instinct de vendeur ayant de nouveau reprit le dessus, j’ai repris la conversation de la veille en leur réexpliquant comment ils pourraient dans le futur, lotir le terrain en trois lots à construire une parcelle pour chacun de ses enfants.
C’est le monsieur qui a évoqué la question du prix de telle façon que je lui ai répondu :
– Vous savez ce que je vous ai déjà dit : cette maison vous est destinée, alors c’est à vous de parler. Sachez que vous avez notre accord sur le prix annoncé bien que sous-estimé compte tenu des possibilités.
Ils s’en excusaient, mais ils ne pouvaient pas faire plus avec leur budget. Suite à cet accord oral, nous nous sommes quittés.
Le mercredi matin, j’ai reçu un message par lequel l’acheteur me demandait les documents pour concrétiser par écrit cette transaction. Je me suis exécuté pour satisfaire à sa requête. Pour confirmer la bonne réception des papiers, il m’a téléphoné pour me remercier de mon empressement à lui répondre. J’en ai profité pour lui demander de me répondre franchement : la veille, quand il a fait son offre, si je lui avais demandé 10 000 € de plus, je suis certain qu’ils auraient accepté, bien entendu, il n’était pas question de changer quoi que ce soit. Sa réponse fut positive.
Alors j’ai joué au grand seigneur en lui disant :
– Nous sommes heureux, même si je parle en leurs noms, mon frère et ma sœur de vous faire ce cadeau.
Pour moi, ce geste me lavait des propos orduriers entendus, il y a bien longtemps.
Et surtout, il me conforte dans ma position prise il y a dix ans.
Assez pour le prélude, une suite est à venir afin de compléter ce récit
C’est exact, tu as raison, toutes les maisons ont une âme. Peut-être une restriction quand même, pour celles construites au cours des quelques années qui nous précèdent … aux strictes normes CE ou équivalentes.
Tu as eu la chance de voir sortir des « limbes » l’âme de la maison de tes parents. Pour moi, ce serait plus difficile : notre premier domicile de jeunes mariés, devant la boulangerie Dubreil, restaurée d’ailleurs en partie par ton frère Jean, notre premier domicile donc, devait en avoir plusieurs, de ces âmes : un contrat de location devant notaire, daté de 1772 …
Mêmes constatations pour notre maison actuelle de la Reuserie … édifiée vers 1580.
Ce n’est pas le temps qui passe, c’est nous qui passons, restent les pierres et leur mémoire, malheureusement les pierres ne parlent pas …
c est tres émouvant !!!