Celui-là, il a fallu un certain concours de circonstances pour qu’il me revienne en mémoire.
Comment le tiroir de mon cerveau fermé, il y a soixante ans, parmi la multitude de souvenirs engrangés a refait surface pour mon plus grand plaisir ?
Ceci dit, il n’est pas extraordinaire que je serve comme chauffeur de taxi en convoyant des personnages entre notre quartier et la gare SNCF de Saint-Pierre des corps. Ce soir-là, ma mission était d’aller chercher Arnault à vingt heures.
Il me restait deux kilomètres à parcourir avant ma destination quand, j’ai remarqué sur le trottoir un jeune homme courant comme un dératé dans la même direction. Arrivé à sa hauteur, j’ai freiné pour ouvrir ma portière de manière à pouvoir l’interpeller cavalièrement :
– Si tu ne veux pas rater ton train, tu montes.
Ayant compris mon injonction, sans hésitation, il a pris place comme passager, tout essoufflé qu’il était. Il n’a pas arrêté de me remercier. Les deux minutes passées en sa compagnie furent un bonheur. Il a eu le temps de m’expliquer la raison de son voyage, il devait remplacer un de ses amis interne comme lui dans un service hospitalier de Toulouse.
Cette « bonne action » accomplie, je me suis pris à penser aux auto-stoppeurs, me remémorant de n’avoir jamais eu recours au pouce tendu pour voyager. Que nenni, s’il me fallait trouver une raison pour relater un complément de récit dans le registre « Mes hasards« , je n’en demandais pas tant.
Eh oui, il y a soixante ans et plus, je vivais ma période parisienne. Un dimanche matin, je devais retrouver un ami à Senlis. Pour ce faire, je me suis retrouvé à la sortie nord de Paris à faire du stop. C’était la première et la dernière fois que j’ai pratiqué cette façon de voyager, aucune raison, mais le destin en a voulu comme cela.
Je me vois sur le bord de cette route un matin d’hiver. Je ne sais si ma prise en charge fut rapide, ce qui est certain, mon bienfaiteur était un chauffeur de camion qui m’a pris en covoiturage. C’était un jeune routier natif de mon village pour ne pas le nommer « Chemillé-sur-Dême ». Le jeune homme : Jacques Saussereau, mon aîné de sept ans.
J’ai été déçu par sa réaction quand bien des années plus tard, je le rencontre à nouveau. À l’évocation de cet événement, il m’a cru, mais il ne se rappelait pas du tout ce jour. Par contre, il n’était pas étonné, car il lui arrivait pour son travail d’emprunter cette nationale desservant le nord de la France.
ALORS, LÀ.
Aujourd’hui, 27 juillet 2023, je ne savais pas en ajoutant la photo de ce dessin, qu’il me serait donné l’occasion, dans les heures qui allaient suivre, de vivre un événement qui prendrait place dans la collection de mes hasards.
En me rendant dans le centre-ville faire mes courses, j’étais loin de prévoir ce nouveau hasard.
Ce jour de la sainte ANNE, le quartier des Halles est très animé, la foire à l’ail et aux basilics s’étale dans les rues, les étals éphémères sont dressés sur les trottoirs, entre autres la rue des halles : « le coin ».
Quand je dis « le coin », ce mot est bien nommé. Cet endroit n’a pas été choisi, il s’est imposé, autrement mon événement aurait peut-être eu lieu, mais avec moins d’intérêt.
Du temps de ma jeunesse, quand je gérais les biens pour des propriétaires, j’avais comme locataire d’un local commercial, un commerçant d’articles spécialisés dans les arts de la table.
Après la cession de l’agence, il y a 22 ans, les occasions de nous croiser se sont raréfiées d’autant que lui a vendu son commerce, il y a plus de 10 ans.
Il est vrai que pour lui qui vit dans un village dans le nord du département, il avait vraisemblablement choisi de venir en ville pour déambuler à travers les étalages d’objets de tout genre, animés par des bonimenteurs venus exercer leur art, en complément des marchands d’ail et de basilic.
Nous nous sommes rencontrés pile au croisement de la rue des halles et de la rue de Jérusalem, devant la porte de son ancien magasin. Nos visages en vis-à-vis, à cinquante centimètres face à face.
Lui comme moi, surtout moi, en pensant au plaisir que je prendrai en couchant sur le papier, ce qui est, encore un de ces moments qui agrémentent ma destinée.
N’est-ce pas encore le jeu des rencontres inopinées, dans des endroits choisis pour certains ?
Merci qui ? Pour ces coïncidences qui me permettent de compléter les narrations de mes hasards.
Je sais bien, pour d’aucuns, je ne suis qu’un narrateur relatant des faits, on ne peut plus banals, ils ont sûrement raison, mais moi, j’aime !
« Le hasard, c’est peut-être le pseudonyme de Dieu quand il ne veut pas signer ».
Théophile Gauthier
En te lisant j’ai l’impression que tu chasses le hasard. Tu le provoques. Tu dois avoir un fluide ou un saint Hasard !
JLL