Tout a commencé par une altercation entre papa et moi. Je travaillais à l’époque dans la banlieue parisienne pour la société Thomson Houston en tant qu’ajusteur. C’était mon premier métier, le seul pour lequel j’ai un diplôme : un CAP.
En tant que futur appelé (pour faire mon service militaire), suite à un conseil de révision où je fus admis comme « bon pour le service ». Cette épreuve passée, celle-ci étant positive, il nous restait pour compléter notre engagement militaire à aller faire une courte période dans une caserne à Limoges, dite, « faire ses trois jours ».
Gare de Limoges-Bénédictins
Un petit mot de ce conseil de révision. Nous passions ce test à Neuvy-le-Roi, le chef-lieu de canton de Chemillé, où j’ai passé mon certificat d’études avec succès. Ça va sans dire, mais c’est tellement mieux en le disant, la classe de 1964 est une classe du baby-boom.
Nous étions assez nombreux, si nous comptions les garçons et les filles, nous formions un ensemble d’une vingtaine de jeunes gens qui ne demandaient qu’à faire la fête. Et comme de bien entendu, j’ai participé à ces festivités qui ont duré trois jours. Nous nous invitions chez nos parents pour prendre nos repas et boire, nous déplaçant à vélo.
L’époque des alcootests n’étant pas encore née, nous nous sommes permis quelques excès. Ce fut la première fois et la seule où j’ai dormi dans un fenil, ce local se situe dans la ferme des parents d’un conscrit, Serge Branlard. Si ma mémoire est bonne, cette grange est une ancienne chapelle du XVIIIe siècle. Nous gardons tous, ce que nous en sommes, nous les anciens conscrits de cette cuvée 64, que de très bons souvenirs que nous aimons à rappeler lors de nos rencontres plus de 40 ans après.
Revenons à la raison de ma divergence entre papa et moi. La société pour laquelle je travaillais, rémunérait les jeunes gens accomplissant leurs trois jours de période militaire avant le service, si cette période ne se déroulait pas pendant les congés.
Ayant calculé avec ma date de naissance que je serais convoqué pendant mes vacances, cette convocation devant arriver à la maison familiale, j’annonce à papa, étant loin de me douter que cette recommandation susciterait un tel déchaînement de colère : « quand vous recevrez ce papier, vous le retournerez en indiquant que je suis en vacances et que vous ne savez pas où me joindre ».
Et alors là, papa a piqué une colère, me disant : « tu partiras quand tu seras convoqué », etc. Ne me laissant pas intimider, je lui répondit : « tu seras obligé de répondre : je ne sais où il est, car je ne te dirai pas où je passerai mes vacances ».Ce que je fis !
Ces vacances, je les ai passées avec la famille Mollet à la frontière espagnole, et après, avec des amis. C’était l’année où je me suis rasé la barbe et la moustache en quinconce. Jacques Bergeron me le remémore très souvent lors de nos rencontres. Il en a gardé un souvenir amusé.
À la fin de ces vacances, mes amis m’ont déposé au bout du chemin de la maison familiale, c’était le quinze août. Ne voulant pas qu’ils assistent à mon accueil, présumant que celui-ci ne serait pas des plus chauds, ce qui s’avéra vrai.
La famille était réunie dans la salle à manger pour ce jour de fête, et de ce fait, papa me vit arriver de loin, ce qui lui permit de sortir sur le pas-de-porte, m’accueillant d’un : « vas te raser et suis-moi ». Ce que je fis. Le rasage exécuté, il m’emmena à la gendarmerie de Neuvy-le-Roi afin de signaler mon retour.
Anecdote : petit frondeur du haut de mes 18 ans, je pénètre dans la gendarmerie sans dire bonjour. Papa me rappelle, me demandant si je n’ai rien oublié : j’exécute cette remontrance et de même pour l’au revoir, quand j’eus signé le procès-verbal de mes retrouvailles. Malgré l’air renfrogné de papa, je crois qu’il était heureux de mon retour, car nous nous sommes arrêtés chez tous ses amis se trouvant sur le chemin de la maison en revenant pour nous « désaltérer ».
Comme j’avais prévu, je fus convoqué pour aller à Limoges pendant ma période de travail et de ce fait, rémunéré, mon vœu !
Pour accomplir ces trois jours qui en réalité n’étaient que deux, j’avais reçu ma convocation accompagnée des billets de train aller et retour pour Limoges. Le voyage aller se passa complaisamment en compagnie de Parisiens des plus fantasques, ce qui agrémenta le temps du voyage. Comme ces jeunes ne se contentaient pas de faire des facéties dans le train, ils continuèrent, même arrivés dans la caserne, ce qui eut pour conséquence de nous faire remarquer par nos encadreurs, leur fournissant une main-d’œuvre toute désignée pour accomplir les corvées et comme de bien entendu, je fus confondu avec ces titis parisiens pour accomplir les tâches.
Je me souviens que très peu des épreuves, ceci n’est pas important. Quelque chose par contre qui avait de l’importance, c’était mon retour. J’avais calculé, si je passais dans les tout premiers à la visite médicale en faisant diligence, que je pourrai prendre le train de mon retour le jour même, m’évitant de coucher une nuit à la caserne.
La visite médicale se déroulait dans un bâtiment où il y avait une salle d’attente. Nous devions nous déshabiller avant d’être présentés aux médecins. Pour ne pas rater mon train désiré, je ne perdis pas un instant dans ma mise à nu pour réaliser un stratagème : aller me placer derrière le premier dans la file d’attente, bien m’en a pris, celui-ci devait avoir des relations.
La suite va concrétiser ma suspicion.
Le déroulement des événements qui vont suivre ne peut que me confirmer dans mes suppositions. Après-coup, il me semble que ce jeune homme n’était pas en tête de la file d’attente par hasard. Il ne m’avait pas paru flagrant ni anormal, mais je me suis remémoré que cette place de premier lui avait été imposée par le militaire professionnel.
Le futur passager de la SNCF que j’étais, n’avait qu’une idée en tête, celle de ne pas rater le train du jour. Quand la porte s’ouvrit, je glissai subrepticement à sa place de façon à perdre le moins de temps possible.
Je ne me doutais pas que ce simple geste allait changer mon destin. Les événements suivants me démontrèrent combien il suffit d’un rien pour changer le devenir d’un gamin.
Passé le seuil du cabinet médical en premier à la place vraisemblablement du jeune homme recommandé, je me retrouve devant le médecin pour l’auscultation, chose normale. Ce docteur exécute son travail, je trouve étrange le temps qu’il passe à l’aide de son stéthoscope sur ma cage thoracique. N’étant pas à ma première visite médicale, ce comportement me pousse à l’interroger lui demandant : il y a quelque chose d’anormal ? Ce à quoi ce praticien me répond oui monsieur, vous avez un souffle au cœur congénital. Stupéfait, ne connaissant pas le terme congénital ni en quoi consistait un souffle au cœur, au résultat de ce constat, je lui demande les conséquences de ces anomalies : « je vous réforme », me dit-il.
N’étant pas certain d’avoir bien compris, je lui réponds que je ne voulais pas être ajourné. Sa réponse en me regardant d’un air surpris : « non, non, vous êtes RD2 », en me tendant mon dossier. Il me restait à passer devant un autre militaire chargé de l’orientation avant de sortir de la caserne, et toujours pour la raison que vous connaissez ? Mon train ! En face de ce monsieur et ne voulant pas perdre de temps, mes premiers mots sont de lui annoncer mon exemption des obligations militaires. « Attendez, pas si vite ! Avant que cette décision soit confirmée, il vous faut passer devant une commission de réforme », me dit-il, ceci dit, il me pose quelques questions et me libère.
Je ne me rappelle pas la suite, je sais simplement que j’ai pu prendre mon train, assez serein de pouvoir espérer une exemption des obligations militaires. La fin de ce récit se concrétisa par la réception de mon livret militaire avec la notification de mon état de réforme RD2, décidée par une commission d’Orléans, à laquelle je ne me suis jamais rendu, n’ayant jamais reçu de convocation. Ce pour quoi j’ai toujours supputé que le fait d’avoir volé la place du premier de la file, celui-là même, qui vraisemblablement devait être présenté en premier devant les médecins.
Pendant 40 ans, je ne pouvais avoir la certitude de ce fait, mais la concrétisation de mon hypothèse s’avéra réalité le jour où j’ai commencé les démarches en vue de prendre ma retraite. La personne préposée à mon dossier me demanda de lui fournir dans les pièces nécessaires pour étudier ce dossier, entre autres mon livret militaire. Celle-ci me toisa (le juste mot) en prenant connaissance des notifications relatives à mon physique. Elle me fit part de son étonnement en constatant ma différence de hauteur entre celle notée sur mon livret militaire et ma grandeur d’aujourd’hui : une divergence de 10 centimètres, et oui !
Il a fallu que j’attende l’observation de cette dame pour me conforter dans ce qui n’était qu’une supposition. Cette nouvelle preuve venait conforter l’hypothèse de ce que j’avais toujours pressenti, je devais mon exemption des obligations militaires à une faveur des autorités du même nom, celle-ci devant être consentie un quidam, celui-là même à qui j’ai volé la première place dans la file d’attente en vue de passer la visite médicale.
Je termine ma narration en petit garçon que je suis, et que je resterai. Et oui, je fais partie des générations où il était de bon ton de dire « les garçons qui sont exemptés de services militaires ne seront jamais des hommes » ? Combien de fois ai-je entendu papa dire cet adage.
Je n’ai jamais souffert de cette exclusion, j’en fus même très heureux étant cigale et non fourmi, il est vraisemblable qu’à mon incorporation, je serais parti sans un sou d’avance.
Je n’étais pas, j’en suis certain, le seul à me réjouir de cette exemption, mes amis du moment qui avaient été aussi dispendieux que moi avant leur enrôlement sous les drapeaux, se retrouvaient dans une situation financière des plus précaires, ne devant pour leurs distractions se contenter que de la solde accordée aux appelés.
Pourquoi cette supposition ? Ces amis lors de leurs permissions, me tapaient de l’argent en me promettant de me rembourser quand mon tour serait venu de me balader en marin. Mais du fait de mon exemption, ils n’ont pas eu à s’acquitter de leurs (dettes). Si je me voyais en marin, la raison de cette nomination était due à mon employeur fournisseur d’armement pour la marine. Tous les jeunes de cette société effectuaient leurs temps sous les drapeaux en tant que marins. Si j’ai un regret, c’est celui d’être passé à côté du touché de pompon, et de ce qui l’accompagnait.
Les souvenirs se comportent comme l’huile dans l’eau, ils finissent toujours par remonter à la surface :
– le fenil des parents de Serge Branlard, à Rorthres, en face de l’ancienne église de Rorthres (commune à part entière jusqu’en 1822) ; nous y avions passé une nuit pas forcément réparatrice … ce n’est pourtant pas ce que nous avions bu !
– le pompon des marins, c’est ce que j’avais demandé personnellement aux trois jours, la Marine Nationale. Et ce fut le 164ème R.I. pour les quatre mois de classe … à Verdun, belle escale maritime !
– Quelques mois plus tard, à Zéralda, en Algérie, arrivée d’un nouveau groupe de soldats, de métropole. Parmi ceux-ci … Serge Branlard, déjà cité. Nous avions déjà partagé le même couchage dans le fenil de ses parents, ça continuait … sous les drapeaux !
C’est ce que tu évoques souvent dans tes écrits, le Hasard …
L’affreux usurpateur !!!
Si j’ai pris l’habit militaire en une période difficile, À défaut d’avoir ton culot j’eus recours à des astuces évidemment pas très catholiques pour ne faire que six mois d’armée aux séquences pittoresques qui n’auraient pas déparé tes écrits ! J’ai toujours manifesté une allergie aux contraintes collectives !!
ÇA FAIT BIEN PLAISIR DE RETROUVER TES CHRONIQUES.
Je suis très heureux d’avoir fait mes 16 mois ce qui m’a permis de naviguer durant 15 mois sur les bateaux 12mJI de l’association française de l’américain cup du baron Bich
Une belle histoire comme on les aime ! Merci !