-Vous voyez Monsieur, si en ce mois d’août des années 1950, on nous avait prédit que l’événement présent se reproduirait soixante ans plus tard, soit en 2020, au même mois d’août, à quelques jours près, à la même heure, et que vous vous retrouveriez en compagnie du blondinet, ce gamin qui vous regardait à cet endroit précis, que vous seriez âgés de 93 ans et lui de 75 ans…
Ceci dit, je vous dois une explication dans mon passé. Le hasard m’a souvent gâté, mais pour cet événement tous les records sont battus.
L’endroit, un site aujourd’hui béni des dieux pour moi. Sis dans les méandres de la Dêmée, un ruisseau affluent de la Dême, la rivière qui a donné son nom à notre village : Chemillé sur Dême qui au temps de l’invasion romaine portait le nom Camilacus.
Non ! Je ne suis pas fou. Il est vraisemblable que sans ces envahisseurs pas de récit.
Dans ces temps reculés, une voie romaine comme beaucoup d’autres traversait la Gaule, s’il faut en croire la légende, cette route reliait la ville de Caen en Normandie à Rome ?
Ce petit coin perdu dans la campagne est gravé dans un coin de mon cerveau pour plusieurs raisons, entre autres une.
Je n’avais pas encore dix ans, j’y ai passé des heures en tant que jeune pâtre. Les vaches sous ma surveillance paissaient dans les prairies bordant le ruisseau avant de les ramener à l’étable, je les faisais boire dans ce gué.
Tous ces moments passés seul avec le chien, le bruit du ruisseau, le chant de la tourterelle sauvage qui n’a rien à voir avec le roucoulement guttural de la tourterelle turque, qui avait envahi notre espace aérien depuis peu.
Pour le site de mon histoire, j’en ai terminé.
Pour faire profiter à ma cellule familiale de ce lieu (Danièle, Bénédicte, et Arnault), j’ai servi de guide. Il faut croire qu’ils ont aimé eux aussi car comme moi, ils se sont rendus dans ce petit coin avec leur famille.
Avant la vente de la maison de papa et maman, ils ont émis le vœu de retourner avec leurs enfants une dernière fois courir dans le jardin de Papi et Mamie. Ces deux escapades se sont déroulées avec trois semaines d’intervalle.
Ces pèlerinages accomplis, les jeunes parents, l’un comme l’autre ont désiré se rendre à leur tour au pont romain. Pour Bénédicte avec l’intention de reconnaître le paysage afin de le présenter à sa troupe les passeurs de légendes (avec l’intention de réaliser d’un clip), pour Arnault et ses filles, le plaisir.
Pour la première escapade, Bénédicte et ses filles ont patouillé dans le gué. À ma grande joie, un couple empruntait ce chemin des écoliers pour se rendre au village. Nous nous sommes reconnus cinquante ans après nos dernières rencontres. Ils sont les occupants des habitations de la ferme, celle des bovins que j’avais sous ma responsabilité de petit pâtre.
Pour la deuxième visite avec Arnault et ses filles, après les jeux dans le jardin de la maison, nous nous sommes rendus dans cet endroit : le poirier vert.
Par contre ce 23 août, nous n’étions pas les seuls à vouloir profiter de ce coin. Un jeune couple pique-niquait sur le pont. Bien entendu, j’ai taillé une bavette, voulant savoir s’ils avaient des ascendants dans le village mais que nenni.
Notre arrivée avait vraisemblablement troublé leur quiétude, mais comment empêcher trois gamines de sauter dans cette eau, bien que glacée, poussant des cris exprimant leur joie. Que de surprises pour ce petit coin qui se devait d’être paisible et qui ne respectait plus les espérances.
Le temps de notre recréation et pour mon plus grand bonheur, trois marcheurs ont emprunté les uns après les autres ce petit pont. Tel que l’on me connaît et pour justifier ma réputation de curieux, j’ai interpellé ces promeneurs. Pour deux d’entre eux, rien que de banal Chemillois de connaissances, pour le troisième, c’est autre chose : la justification de cette histoire.
Un vieux Monsieur se déplaçant en s’aidant d’une canne se dirigeait vers le pont. Avant qu’il ne traverse la rivière, comme pour les deux précédents, je suis allé au-devant de l’inconnu pour le saluer.
Suite à nos bonjours, je n’ai pas pu m’empêcher de faire part de mon étonnement de le rencontrer dans ce lieu, loin de toutes habitations. Et pour ne rien arranger, une bonne partie de ce parcours, un chemin de terre des moins carrossables : le résultat du passage des tracteurs, qui ont laissé derrière eux des ornières en tous sens rendant ce parcours pédestre des plus difficiles sinon dangereux, pour un vieillard assisté d’une canne,
Ne m’arrêtant pas à cette constatation et tenant compte de son âge, l’enfant chemillois que je suis s’est permis de partager une réflexion.
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– Monsieur, je suis étonné, je ne vous reconnais pas comme étant un ancien de Chemillé.
– Non, mais je suis marié avec une Chemilloise, Bénédicte Ruzé Girard.
Cette précision m’a incité à poursuivre la conversation.
Je passe sur ce qu’évoque pour moi le prénom de Bénédicte.
De là commence mon anecdote qui va venir compléter ma collection d’histoires (Il est des hasards).
Ce fait improbable qui dans le temps, sera de loin le plus incongru, avec près de soixante-dix ans entre les deux rencontres.
Allez savoir pourquoi mon emmagasinement des faits mémoriels, qui ont agrémenté mes souvenirs et cela depuis ma plus petite enfance, l’évocation de cette nomination Bénédicte m’a fait dire à ce Monsieur :
– Personnellement je ne connais pas votre épouse sinon pour l’avoir croisé dans les rues de Chemillé il y a bien longtemps. Par contre, maman dans sa jeunesse a travaillé comme domestique chez vos beaux-parents, il lui revenait entre autres dans ses attributions de s’occuper des enfants de cette famille.
L’ancienne nounou de ces enfants avait évoqué ces moments de travaux, en nous comptant quelques bribes de ce passé. Jusqu’à présent rien de banal, ce qui reste à venir l’est moins.
Cette présentation m’a évoqué ce fait invraisemblable qui s’est déroulé il y a plus de soixante ans dans cet endroit précis devant ce pont, ce pour quoi j’ai poussé plus en avant la conversation,
– Monsieur, vous avez travaillé à la SNCF ?
– Oui, mais il y a très, très, longtemps.
-Vous étiez bien en poste à Vierzon dans le Cher ?
Suite à son acquiescement j’ai continué mon exposé.
Pour donner suite à ces deux précisions, j’ai évoqué ce qui était enregistré dans un coin de ma mémoire.
Une promenade en famille ce 15 août, il y a à peu près soixante-cinq ans, nous étions à cet endroit où nous nous sommes rencontrés et c’est bien la seule fois.
Il m’amuse de coucher sur le papier les événements dus aux hasards qui ont accompagné ma vie, je considère que celui-là peut prendre sa place dans ce registre.
Une autre coïncidence plus banale, l’instigatrice, sans elle pas de récit, lors de cette promenade familiale digestive, un oncle travaillant à la SNCF comme cheminot avait reconnu cet homme, comme son grand chef.
Ce qui m’avait interpellé, c’est la déférence de ce tonton devant son ancien patron, lui le syndicaliste intempestif que je connaissais, complètement transformé en un personnage que je ne reconnaissais plus.
Je suppute mais le comportement de ce tonton revendicateur, devenu pour le temps de cette rencontre, comme un « petit garçon » m’a interloqué.
Sans cette confrontation, il n’est pas certain que ma mémoire aurait enregistré cet événement et aucune raison de relater ce fait, jamais au grand jamais, nous aurions pu l’un comme l’autre nous targuer d’avoir vécu ce moment de hasard.
Et pourtant, que de plaisir à vivre, à revivre ces instants et de pouvoir les écrire.
N’oubliez pas, une nouvelle histoire tous les dimanches matin.
je t’ai laissé un commentaire mais j’ai l’impression qu’il n’a pas été enregistré… À voir…
jl
… et ça me soucie de le réécrire …
ill
……… a posteriori…. évoquer le « poirier vert » c’est pour moi, y associer la famille Brossard qui occupait la fermette dans laquelle il pouvait être trouvé oeufs du jour, mottes de beurre goûteux et accueil pittoresque…