Comme vous savez, j’ai croisé dans ma carrière des personnages de tout acabit, rien que dans mes échanges commerciaux. Pour commencer, avec le monde rural : 12 ans de « récréations ».
Du paysan le plus modeste aux propriétaires terriens de vastes domaines dépendant d’un château ; pour le démarcheur que j’étais, il me fallait faire mon travail de commerçant, sans aucune acrimonie. Je vais vous relater un état de fait qui, aujourd’hui, me prête encore à sourire.
Dans les années 1970, une nouvelle mode faisait surface dans notre tenue vestimentaire : le LODEN autrichien.
Allez savoir pourquoi moi, qui ne me sens pas concerné question mode, un dimanche après-midi, en revenant d’une errance en famille, nous nous sommes retrouvés dans une clairière au cœur de la forêt de Loches devant un spectacle de vénerie : la meute, les cavaliers, tous les instigateurs d’une chasse à courre, hommes, chiens, chevaux, personnages en livrés cors de chasse en bandoulière.
Cet attroupement avait concentré des spectateurs de tous poils, des quidams qui, comme nous, se trouvaient en cet endroit par un concours de circonstances. Moi qui ne connaissais rien de ces pratiques, il faut dire que dans notre coin du département, la vénerie n’avait pas beaucoup d’adeptes. Les équipages les plus proches se localisaient dans des grandes forêts, celles-ci se situant à plus de trente kilomètres. Les villageois n’avaient pas la fibre ni la culture pour apprécier les rites de ces chasses seigneuriales. Je ne peux me taire sur notre aversion pour cette pratique : elle avait des propagandistes : les vieux républicains, les pourfendeurs des privilèges d’avant la Révolution. À l’école, on nous enseignait comment ces cavaliers saccageaient les champs cultivés par les serfs paysans, lors des poursuites par la meute et tous les participants, en espérant l’hallali de la bête de chasse.
Une assistance hétéroclite question vestimentaire. Par contre, j’ai remarqué un personnage revêtu d’un loden (une nouveauté pour moi) : le sujet de mon histoire.
Allez savoir pourquoi mon attention fut attirée par ce vêtement. Je n’ai pas fait de rapprochement entre cette tenue et celui qui en était vêtu. Pour moi, ce manteau me plaisait et c’était tout ! C’est pourquoi je me suis empressé d’acheter un manteau de cette texture dans le style de celui vu dans la clairière.
À présent, je vais conter le pourquoi de cette histoire.
Dans ma clientèle, il était un homme propriétaire d’un vaste domaine que je visitais régulièrement. Nous discutions sur le pas-de-porte de sa résidence, la courtoisie était de mise. Il possédait un matériel vendu par la concession avant mon embauche et qui lui donnait entière satisfaction.
Je ne pouvais que le louer de sa fidélité à son fournisseur habituel. L’achat de cette machine avait dû être un choix en raison de la qualité de ce matériel ; qualité qu’il n’avait trouvée ailleurs qu’à la concession ; celle-ci ayant l’exclusivité de vente pour tous les matériels NEW HOLLAND dans le département d’Indre-et-Loire.
Ce qui m’a amusé dans le comportement de ce monsieur, comme je le relate plus haut, c’est que jamais je n’avais franchi le seuil du castel. Par contre, ce jour-là, à sa façon de me mater avec scepticisme que je remarquais dans l’expression de son visage (Ne soyons pas mauvaise langue.), mais quand même, suite au bonjour, il m’a invité dans le hall de sa demeure. Notre entrevue n’a pas duré très longtemps. Il s’est aperçu rapidement que mon manteau, ce LODEN qui se retrouverait dû à l’effet de mode comme un vêtement des plus banals, représentait un code inavoué dans un certain « monde ». N’ayant pas les codes de cette coterie, mon hôte ne m’a pas retenu. Il n’a pas perdu de temps pour discerner mon apparence inappropriée ! Ce qui changera par la suite, quand ce vêtement recouvrira un grand nombre d’épaules sans distinction du standing.