Les histoires qui vont suivre ne sont pas du même registre, elles ont pour décor ma carrière dans l’immobilier qui, à vrai dire, ne m’a pas laissé de souvenirs désopilants.
Bien sûr, j’y ai connu de bons moments, mais pas comme dans la machine agricole qui, elle, m’a laissé beaucoup de très, très bons moments en mémoire.
J’ai eu beaucoup de chance au début de ma carrière dans cette branche. Je ne parle pas de mon employeur, un rapiat (je ne dis pas radin), qualité que je revendique haut et fort pour mon cas. Ma devise n’est-elle pas : plus radin que moi, tu meurs.
Ce monsieur sans état d’âme a profité de moi sans vergogne et sans aucune honte. Mettons à sa décharge qu’il m’a donné de bonnes bases pour exercer le métier de négociateur dans l’immobilier.
Pourquoi je dis chance ? Parce qu’il n’y avait pas six mois que j’exerçais dans cette profession, avec plus ou moins de réussite et comme je le pense, pour toute personne voulant se réorienter dans une nouvelle carrière, il a suffi qu’un couple entre à l’agence pour donner à ma future destinée de négociateur en immobilier une espérance de réussite.
Ce monsieur et cette dame se sont présentés à l’agence un samedi matin. Ils étaient à la recherche d’une maison. Après qu’ils aient exprimé leur désidérata, je pris rendez-vous pour l’après-midi afin de visiter des maisons pouvant correspondre à leur requête. Je m’arrangeai pour les garder tout l’après-midi, ce qui nous permit de faire connaissance, et je pensai, dans ma naïveté de novice, les empêcher de se rendre dans les autres agences. Mon attitude n’échappa pas à mes ‘clients’, car, avant de me quitter en me disant au revoir, l’homme du couple me dit d’un ton goguenard :
— Monsieur, si vous aviez voulu nous empêcher d’aller rendre visite à vos collègues, vous ne vous y seriez pas pris autrement.
Nous nous sommes quittés sur ces paroles. Tous les trois affichant un sourire complice.
Sans le savoir, j’avais bien travaillé et avais mis à profit le temps que nous avions passé lors de cet après-midi en me renseignant sur les motifs de leur recherche.
Au cours de nos palabres, j’appris que ce monsieur était directeur d’une filiale américaine, une entreprise qui quittait Grenoble et venait s’installer en Touraine. Dans la conversation, il m’apprit aussi qu’une douzaine de cadres viendraient habiter dans la région avec de gros avantages attribués par la société pour faciliter l’achat de leur résidence.
Dans la vie, il y a des moments comme ça, on ne sait pas pourquoi, mais la chance vous sourit. Ce fut le cas pour ce qui va suivre. Il faut croire qu’à la suite de ce temps passé en visite, ce couple avait gardé un bon souvenir de notre rencontre. Les retombées de cette fraction de temps passé à discuter ne se sont pas fait attendre. Tous ses collaborateurs en quête de résidences ont pris contact avec moi avant de rendre visite à mes concurrents. Il s’est avéré que tous ces acheteurs potentiels sont venus me voir sur les recommandations de leur directeur pour ma plus grande satisfaction, tant et si bien que, sur les onze acheteurs, j’ai vendu huit maisons. Je présume encore aujourd’hui que ma réussite, je la dois à ce patron.
Ce monsieur a joué un rôle dans la réalisation de ces ventes en me recommandant à ses collaborateurs, et du fait de cette recommandation, ces acheteurs ont, dans je ne sais pas quelle mesure, sans pour autant se sentir contraints, cru faire plaisir à leur patron en traitant l’achat de leur maison avec moi, car la plupart de ces jeunes cadres n’ont même pas prospecté dans les autres agences immobilières du secteur. Une atmosphère d’amitié s’était installée entre nous.
Pour information, la moyenne des ventes habituelles à cette époque se négociait dans les cinq cent mille francs, mais pour ces transactions, la moyenne se concrétisait entre huit cent mille et un million de francs.
Le plus dur fut de négocier avec leur directeur, lui ne se déplaçant pour visiter qu’après avoir consulté son épouse qui, elle, prospectait tous azimuts dans la région. Je lui fis visiter un bon nombre de maisons. Je ne la sentais pas enthousiaste vu ses réactions, mais un climat de sympathie s’était installé entre nous. La chance a voulu que je rentre une maison à la vente la semaine où elle prospectait ; ce mandat de vente s’est signé un soir.
Je ne sais pas pourquoi, mais il m’a semblé que cette maison correspondait à la requête de ce couple. Vu nos relations, cette dame et moi, et malgré l’heure tardive, j’ai pris la liberté de l’appeler à son hôtel en rentrant. Je crois me rappeler qu’il ne devait pas être loin de vingt-deux heures. Après la description de la maison, je m’entends dire.
— Vous savez, cette maison, je l’ai déjà visitée avec un de vos concurrents. Peut-être qu’elle conviendrait à mon mari, mais pas à moi.
Cette réponse m’a laissé un goût amer, j’avais la certitude que cet immeuble correspondait à la maison recherchée pour ce que j’avais cru comprendre à la demande formulée par le mari de mon interlocutrice. Comment faire, car il existait une déontologie dans cette profession : un bien présenté par un collègue ne pouvait être en aucun cas revisité par le même client en compagnie d’un autre agent immobilier.
Mes rapports avec ce couple ont fait qu’une certaine complicité non dite entre cette dame et moi m’a permis de mener à bien cette transaction.
Comme il est dit plus haut, la femme prospectait et, suite à ses visites, elle faisait son rapport. Ce n’est qu’après en avoir discuté entre eux que l’homme du ménage partait en compagnie de madame visiter les maisons pouvant convenir au couple.
J’avais fait visiter plusieurs logis à mon acheteuse ; comme certaines de ces résidences avaient passé le premier examen, nous avions rendez-vous pour les présenter à l’époux.
Je savais que mes clients devaient visiter d’autres maisons avec des concurrents, dont particulièrement celle que je leur prédestinais. Je pris le risque intentionnellement de présenter mes résidences à vendre en dernier après les autres agents immobiliers, sachant très bien qu’il y avait une forte chance pour que la maison en jeu leur fût proposée et présentée. Si j’ai pris ce risque, c’était pour pouvoir me disculper en cas de négociation avec ce bien.
Il arriva ce que j’espérais. Récupérant mes prospects après la concurrence, je leur fis visiter plusieurs maisons ; il ne restait que la dernière, celle qui avait provoqué la réponse négative de madame. Comme elle me l’avait dit, elle s’était arrangée pour que son mari ne visite pas la maison que je lui réservais, et c’est la raison qui me fit lui dire
— À présent, madame, il est arrivé le temps de nous séparer. Je ne garde avec moi que votre époux. Le motif de notre séparation, vous le connaissez : je ne peux vous faire visiter une maison que vous avez déjà visitée avec un confrère. Par contre, rien ne m’interdit de la faire visiter à votre mari.
Il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir ce que cette dame pensait comme moi : la maison correspondait aux vœux du monsieur. Elle avait eu la gentillesse de me réserver la visite de celle-ci, car, dans le cas d’une négociation, je serai leur interlocuteur. Ce qui se passa le temps de la visite de prospect : mon client devint acheteur en me prenant le bras, il me dit.
– Vous avez raison, c’est cette maison que j’achète.
Et de fait, je leur ai vendu cette résidence. Suite à cette visite, nous sommes allés au restaurant. Et là, au cours du repas, la conversation commençait à déraper sur la politique ; c’était en 1981, l’année de l’élection de Fanfan, voyez-vous de qui je veux parler ? Les idées de mes hôtes ne correspondant pas du tout aux miennes, il me fallait sortir de cette conversation, ne voulant en aucun cas les froisser. Alors, pour couper court à ce dialogue qui n’en était pas un d’ailleurs, car je ne répondais pas, je leur annonçais que mes référents comme hommes qui étaient Zola, Hugo, Jaurès, Roger Salengro, ce qui ne changea rien à l’ambiance du repas, seulement le sujet de la conversation.
Par la suite, je suis resté en relation avec ces nouveaux venus. Une confiance s’est installée entre nous.
Pour mon plus grand plaisir, il me saluait toujours avec un :
— Bonjour le rouge.
Pour justifier cet état de fait, dix ans après ces transactions, il en est de ces propriétaires qui sont repartis pour des raisons personnelles. J’ai toujours été le premier averti de la décision de ces vendeurs. Dire que j’ai réalisé toutes ces négociations serait mentir, mais j’ai réussi pour plusieurs.
Pour le patron de ces cadres, une autre ambiance ; je me sentais bien en leur compagnie, nos conversations étaient empreintes d’humour avec des réparties comme je les aime. En ce qui concerne la politique, il y avait du grain à moudre en ce début de l’ère socialiste.
Par contre, ce monsieur m’a fait confiance, comme il l’était la plupart du temps, car il voyageait d’un continent à l’autre ; c’est avec madame que je palabrais.
Deux fois en un an d’intervalle, j’ai eu à vendre des appartements intéressants pour des investisseurs. Quand je leur faisais des propositions, c’est à madame que je m’adressais :
Madame, si votre mari est un homme d’affaires, dites-lui que j’ai une affaire qui devrait l’intéresser !
Aux deux fois, le lendemain matin, la réponse était la même :
Si cela est une proposition de Duhard, tu dis oui et tu fais tout le nécessaire pour que nous signions à mon retour en Touraine.
Les deux ventes se sont réalisées sans que ces messieurs visitent les biens. Je ne les rencontrais qu’à la signature de l’acte.
Cet état de fait ne s’est pas réalisé avec ce couple, mais les autres acheteurs étaient souvent mes anciens clients de mon passage dans la machine agricole.

Quel négociateur !
Tout le contraire d’un certain jean-luc… ce qui ne le retient pas, d’apprécier tes qualités en ce domaine comme en d’autres.,