28 octobre 2023

MON INTERNAT 2

SUITE.

Pas besoin d’explications pour deviner le clan de mon appartenance.

Comment vais-je résumer ce monde pour moi inconnu ? Je venais tout juste d’avoir quatorze ans, étant né début octobre, la rentrée avait lieu à cette époque le 1er octobre. Le gamin que j’étais se trouva confronté à un monde loin d’être tendre. Pour me justifier de ces dires, le peu de mes anciens compagnons de cet internat que j’ai rencontré après leur service militaire m’a assuré que la vie était plus douce dans les casernes en tant que soldat, en comparaison de la vie dans ce pensionnat. Je me fie à leur jugement, ayant été réformé (une autre histoire).


L’âge des pensionnaires allait de 14 à 19 ans, c’est-à-dire des gamins mesurant 1,55 mètre (ce qui était mon cas) et des adolescents pouvant atteindre, étant donné leur âge, 1,80 mètre. De ma hauteur, ils étaient des grands, mais en général ces géants étaient en troisième année d’apprentissage et de ce fait, nous les bleus, les bizuts, nous leur devions le respect.

Le respect aux anciens, loi qui régnait.

Ne supportant aucune dérogation, le contrevenant à cette loi ayant affaire à la solidarité de ces anciens, ceux-ci s’octroyant le droit d’appliquer leur dictât en punissant le rebelle, nom donné à l’élève ayant eu des gestes ou des mots qui à leurs yeux paraissaient gestes de lèse-majesté, infligeant des brimades et des humiliations allant parfois jusqu’aux châtiments corporels, devant nous plier à leurs facéties.

Avec le recul, tout cela me paraît sans grande gravité, mais à cette époque, j’étais encore un jeune garçon sortant du cocon familial, mon état d’esprit avait-il vraisemblablement changé dans l’instant où je devins ancien ? À la deuxième année, même à ce stade d’ancienneté, nous devions encore le respect aux troisièmes années. Nous n’étions délivrés de ce joug qu’à notre entrée dans la troisième année où c’était notre tour, devenus anciens, de perpétuer les usages.

J’ai été respecté et presque pas tourmenté cette première année, du fait que Jean, mon frère, avait l’année précédente, marqué son bref passage dans l’établissement d’une réputation de bagarreur. Pour confirmer la réputation de la famille, un événement vint justifier notre penchant à la rébellion, voici comment !

Nous prenions nos repas dans les anciennes écuries des chevaux aménagées en un grand réfectoire. Il devait y avoir une cinquantaine de tables où nous étions dix convives autour de ces tables pour nos repas. Les us et coutumes voulaient qu’une certaine répartition se fasse. Ces tablées se composaient de huit anciens, des deuxièmes ou troisièmes années, et de deux bleus des premières années à qui étaient dévolus à la fin des repas le rôle de ranger en bout de table, les assiettes, les verres et les couverts.

Je me trouvais donc en tant que bizut en bout d’une de ces tables, celles des deuxièmes années de cuisinier. Un soir (cela va faire un peu conte, mais il est vrai) où il neigeait, mes compagnons de table s’allièrent dans le but de faire une gouttière dont je serai la victime. Ce jeu, si on peut appeler cette farce aux yeux de certains un jeu, consiste à plier un côté du pan retombant de la toile cirée protégeant la table en forme de gouttière, arrêtant le pli de façon que cette conduite d’eau se déverse sur les genoux de la victime désignée ; ce soir-là, ce fut moi.

Ce pliage était exécuté par les protagonistes de ce coup monté se trouvant sur la même rangée que la future victime. Pour réussir ce tour, il y avait un ou deux personnages qui avaient le rôle d’attirer l’attention du dindon de la farce, le temps de la mise au point du stratagème. Quand cette machination était réglée, il suffisait de vider de l’eau dans cette gouttière, les lois de la physique s’appliquant, font que la victime se retrouve le pantalon inondé. Si cet événement se déroule l’été, quand le temps est beau et qu’il fait chaud, la gêne occasionnée par ce petit désagrément est moindre.

Le piège ayant fonctionné, je me suis retrouvé trempé, n’ayant pas la possibilité de me changer et devant subir par le froid les désagréments de cette situation due à ce temps hivernal. Il est vraisemblable que ma réaction aurait été tout autre en été, mais là, celle-ci fut spontanée. Je me saisis du deuxième pichet encore à moitié plein d’eau, et d’un geste de colère spontanée, je projetais le contenu de celui-ci au visage de mon vis-à-vis, assis en face de moi. Je pense l’avoir choisi, car c’était parmi les rigolards, celui qui riait le plus fort de ma mésaventure et du fait qu’il n’était pas beaucoup plus grand que moi.

Ho là là !!

Mais que n’avais-je pas fait ! Moi, un bleu, bizut, j’avais agressé un ancien ! Réjouissance pour nos compagnons, car il devait y avoir des châtiments infligés au mutin que j’étais. Dans ces moments de préparations de bagarres, c’était l’effervescence dans les rangs en attendant le combat. Il faut dire qu’il y avait un rituel. Le justicier, convaincu de sa suprématie, aux vues et égards à son grade d’ancien, cet état devait le rendre intouchable. Il était dans les us et coutumes qu’un bleu devait, en aucun cas, se rebeller sous peine de déclencher les foudres de tous les anciens (pacte de solidarité tacite et obligée).

La sortie du réfectoire s’effectuait table par table, et deux par deux. L’outragé prit place à mes côtés pour cette sortie, afin de m’expliquer comment il allait me châtier de l’affront que je lui avais fait subir. Il se frottait le poing droit de la main gauche, ce poing vengeur qui devait servir d’instrument pour laver cet affront. Ce futur tortionnaire, vraiment sûr de lui, me narguait, me donnant force détails dans la façon dont il allait m’infliger la correction que je méritais. Là encore, je ne sais pas pourquoi, mais en sortant, après avoir parcouru quelques mètres sur le sol enneigé, ce justicier savourait sa suprématie en roulant les épaules, voulant impressionner le cercle de spectateurs se formant dès qu’une future bagarre se préparait.

J’étais dans mes petits souliers devant mon rival au milieu du cercle. Des adolescents goguenards se réjouissant du futur spectacle quand, sans trop savoir pourquoi, mon poing droit partit d’une façon incontrôlé en direction du visage de ce rival qu’il frappa, lui éclatant une lèvre. En réaction, la victime, à la vue de son sang, perdit de sa superbe, tant et si bien que de combat, il n’y eut pas. Et de ce jour, contrairement à toute idée reçue, je ne fus plus jamais ni bizuté, ni humilié.

Pour conclure cet épisode, le sang coulant de la lèvre de ce rival, macula la neige, ce qui ne manqua pas d’attirer l’attention du pion, interpellant le blessé, il lui demanda la cause de cette blessure, j’étais encore dans l’anxiété, en attendant la réponse, ayant peur d’une dénonciation qui aurait eu pour cause, je ne sais quelle punition, mais la victime se comporta dans la tradition des rites de l’établissement ne me dénonçant pas, invoquant un heurt avec une porte.

Cet événement reflète le climat de rudesse régnant dans l’établissement dans lequel tout un mélange de classes sociales se côtoyait : des enfants de restaurateurs venants de toute la France afin d’apprendre le métier de cuisinier, ce centre d’apprentissage étant un des rares sinon le seul à cette époque dans notre pays à enseigner ce métier ; des enfants d’artisans dans le but d’acquérir une certaine théorie qu’ils n’auraient pas eue, ou moindre, dans le cas d’apprentissage chez un patron ou dans l’entreprise familiale ; venait ensuite le plus grand nombre, des fils d’ouvrier d’usine vivant dans les cités ouvrières de Tours et sa banlieue et pour finir, un bon nombre de gamins nés de parents ouvriers agricole, ceux dont je faisais partie et qui de ce fait, étant originaire de la campagne, ces jeunes ruraux que nous étions formaient le plus grand nombre d’internes.

Du fait de ce métissage, un ensemble hétéroclite composé de jeunes gens issus de milieux complètement disparates, nous confrontant les uns aux autres, à une façon de vivre à laquelle nous n’étions pas du tout préparés. Les ruraux dont je faisais partie, avaient un passé dans beaucoup de cas de jeunes gens de confession catholique. Étant plus ou moins encore pratiquant et n’ayant connu qu’une vie paisible, éloignée des rythmes un peu plus tendus de celle menée par les jeunes urbains.

Ce qui m’a fait dire en parlant des élèves, et cela, pendant des années, qu’il n’y avait pas que des « voyous » à mes yeux, tout est relatif, mais tous les voyous en apprentissage étaient dans cet établissement à cause du quotidien dans les murs de l’école et compte tenu des comportements incivils créés par ces adolescents.

Aujourd’hui, les médias pourraient se faire des choux gras en relatant les « tortures de tout genre » que nous infligions à deux gamins en les harcelant, nous étions des monstres ???

Un rebondissement la semaine prochaine.

2 Comments

  • Excellente étude du milieu internat potache de cette époque, car bien placé pour l’avoir vécu quelques années plus tôt fin des années 40, à l’ENP de Vierzon, au lendemain de la 2 ième guerre. De par cette proximité, le rationnement sur nourriture et le confort (givre aux vitres l’hiver et déambulation journalière en sabots) y étaient encore plus rigoureux et le cursus de 4 années (avec préparation aux écoles AM) augmentait encore les écarts d’âges.
    Le régime de la TRADITION avec ce même folklore et ces mêmes brimades y était bien établi et reconnu par la Direction, ainsi dès l’entrée on se retrouvait automatiquement désigné comme le « BIZUT » d’un « ANCIEN » qui vous prenait alors sous sa coupe, pour le meilleur comme pour le pire.
    Votre sort dépendait alors du loustic sur qui vous tombiez, la proportion des connards et des bons-gars étant à peu près égale à celle d’aujourd’hui et dans certains cas, au prix de quelques modestes sacrifices, leur assistance tant pour la vie courante que pour les études, pouvait s’avérer précieuse.
    C’était parfois assez dur, mais à ma connaissance aucun abus irréversible commis et à la réflexion somme toute une bonne école d’apprentissage psychique, permettant de forger un caractère lucide, en vue de se frotter aux aléas d’une vie professionnelle et civile, pas toujours très idéalement formatée, qui nous attendais à la sortie. FR

  • Pour info je précise qu’à l’époque de ton internat il y avait des écoles hôtelières ( Paris , Strasbourg, Thonon les Bains, Nice, Grenoble ) lesquelles écoles formaient des cuisiniers !!!!

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