JAMAIS DEUX CENT TROIS ! Qu’ils disent
En cette matinée d’un jeudi de printemps 1997, rien de plus normal, pas la moindre petite anicroche au train habituel : bureau, bistrot, dodo. Une journée qui se devait de ressembler aux autres ne s’est pas déroulée comme elle aurait dû.
J’avais un rendez-vous pour négocier la vente d’une maison, un événement toujours important pour un agent immobilier. Sachant que, dans mon cas, j’ai réalisé en moyenne deux transactions par mois, ayant exercé plus de 20 ans ce travail, si je comptais les visites des transactions, plus celles des locations, plusieurs milliers de logements visités sont à mon actif.
Le début de mes déconvenues a commencé vers dix heures. Je me suis rendu à un rendez-vous là où une série de faits dont je me serais bien passé (mon assureur aussi). Une femme désirant signer un compromis pour l’achat d’une maison, sans un oubli de ma part, il est vraisemblable que rien ne se serait passé comme ce qui suit. Eh oui, il me manquait un imprimé dans mon dossier. Ce document étant indispensable à la réalisation de cette vente, il ne me restait plus qu’à retourner à l’agence afin de ramener cette feuille sans laquelle rien n’était possible.
C’est en revenant sous le porche d’entrée du bureau de mon acheteuse que mon premier avatar s’est produit. Dans ce passage, des fers forgés en arcs de cercle étaient placés aux angles des murs. Ceux-ci avaient été mis, je suppose, pour éviter aux véhicules de frôler les murs, habitudes prises au temps des voitures à chevaux pour éviter que les essieux et axes des roues en saillie ne viennent détériorer ces pans de murs.

Il faut croire qu’à ma première venue, j’avais vu ces morceaux de fer travaillés, ce qui ne fut pas le cas pour ma deuxième entrée dans cette porte. Prenant mon virage trop serré, j’entendis un bruit de tôles froissées. En sortant de ma voiture, je n’ai pu que constater les dégâts : mon bas de caisse droit était enfoncé sur la longueur de mon véhicule. Il ne me restait plus qu’à faire une déclaration d’accident à mon assurance, ce que je fis dès mon retour à mon bureau situé dans le même quartier que mon assureur.
Cette formalité accomplie, je retourne à mes occupations. Ayant un rendez-vous pour une autre visite dans la foulée, je reprends ma voiture garée dans le passage, endroit de stationnement de l’agence. Je prends les clefs et repars en marche arrière sans remarquer qu’un de mes voisins, dans un temps on ne peut plus court, s’était garé derrière moi. Occupé mentalement par mon boulot, j’ai été ramené à la réalité en entendant le même bruit que celui qui s’était produit une heure auparavant, mais cette fois-ci, c’était le côté gauche de ma voiture qui était enfoncé avec les mêmes dégâts que du côté droit. Retour chez mon assureur pour une deuxième déclaration d’accident en moins d’une heure.

Pour l’assureur, cela faisait déjà beaucoup pour une seule journée, il n’était pas au bout de sa peine. Ces événements se sont passés au temps des élans amoureux de Bénédicte pour un archéologue en histoire égyptienne. Ce monsieur, dans son emploi du temps, avait prévu d’animer une conférence sur son art à l’autre bout de la France : Marseille. Notre éprise ne voulant pas rater une occasion de rencontrer son béguin, réserva une place dans un avion pour se rendre à ce rendez-vous. Le malheur voulut qu’une grève des aviateurs vienne compromettre le vol de la belle vers son idole. Elle nous fit part de sa contrariété, et que croyez-vous qu’il se passa ? L’occasion de trainer étant rare dans mon cas, après concertation avec Danièle, nous nous sommes empressés de proposer à notre chère fille (dans tous les sens du terme) de la voiturer vers la capitale phocéenne pour assister à la réunion du tombeur. Ce voyage se présentait sous de bons augures : Arnault accomplissait son service militaire à Salon-de-Provence en tant que scientifique du contingent en histoire. Cet état de fait nous permettait d’envisager un week-end de réunion, nous les parents et nos enfants, que du bonheur à escompter. Ayant déjà eu l’occasion de voyager en famille, je savais que nous ne garderions que de bons souvenirs de cette escapade.
Tel fut le cas : tout ce petit groupe profita de la ville. Pour moi, je me suis transporté dans le monde de Pagnol, m’imbibant de cette atmosphère propre aux scénarios de cet auteur. Ayant des a priori néfastes sur la sécurité dans cette agglomération, je n’étais pas sans avoir remarqué les policiers montant la garde sur le vieux port devant la mairie, ce qui motiva ma décision de garer ma voiture dans le périmètre de cette surveillance.

Nous avons investi un hôtel donnant sur le vieux port voisin de la mairie. Je ne suis pas sûr, mais il m’est agréable de penser que nous étions au plus proche du bistrot de César dans Marius, la pièce de théâtre mythique dans la trilogie écrite par l’académicien de Provence, ce qui me transporta virtuellement dans ce monde que j’aime. Ce n’était pas la première fois que je ressentais cette impression de me transplanter dans ce monde créé par ce magicien des contes provençaux, ce dépaysement intérieur pour ce monde. Je l’avais ressenti à l’occasion d’un voyage dans un petit village des Alpes-de-Haute-Provence : Ribiers, endroit où Yves et Chantal avaient été mutés en tant que préposés des postes. Ce voyage avait pour cause la communion d’Antoine, le filleul de Danièle. C’était mon premier séjour dans cette région chère à mes rêves. Je fus comblé au-delà de mes espérances. Je me suis retrouvé dans l’atmosphère de Pagnol pour la première fois avant l’épisode marseillais. Au cours de l’après-midi, Chantal nous invite à une promenade en montagne. Le but de cette ballade était de retrouver une de ses amies, une bergère qui gardait un troupeau de chèvres et de moutons dans la garrigue. À l’instant de notre rencontre avec ce personnage, je me suis retrouvé dans ce monde que je chéris, celui des scénarios de ce cinéaste de génie déjà nommé ci-dessus. Notre pastourelle était assise sur un rocher surplombant l’environnement, à ses pieds deux gros chiens de races indéfinies, les caprins et les ovins broutant l’herbe et se régalant des branches des arbrisseaux à la portée de leurs mâchoires. Les chèvres, plus lestes, se dressaient sur leurs pattes arrière pour se régaler des feuilles inatteignables par les moutons.
Tout ça pour dire, à ma plus grande joie, que je me suis retrouvé dans l’ambiance de ce très beau film : Manon des sources.

Sortons de mes rêves de grand gamin et revenons à notre périple familial. Bénédicte et Arnault se sont rendus l’après-midi assister à leur conférence, pas pour le même objectif, mais pour le même résultat : ils étaient tous les deux ravis de ce moment passé en compagnie du spécialiste d’égyptologie. Dans le même temps, nous avons marché sur les quais du vieux port, avant de monter visiter Notre-Dame de la Garde. Le soir pour dîner, nous avons choisi un restaurant dans lequel figuraient des menus locaux. Je ne me rappelle plus les menus de mes convives ; moi, ayant opté pour une bourride, je fus déçu de la qualité de ce plat.
Nous avons passé nos nuitées sereinement ; j’étais tranquille en pensant à ma voiture qui se trouvait sous bonne garde. Comme toujours lors de nos voyages, nous sommes assez matinaux afin de profiter d’un maximum de temps pour visiter les sites et les monuments situés sur nos itinéraires. Ce matin de découvertes devait commencer par la visite d’un musée d’égyptologie (La Vieille Charité). La persévérance, comme on peut s’en rendre compte, dans la soif de savoir des trois historiens m’accompagnant.

Ce musée était situé peu loin de notre hôtel, il était possible de nous y rendre à pied, ce que nous fîmes. Ce que nous n’avions pas prévu, c’était l’ouverture de ce monument : elle ne s’effectuait qu’à dix heures. Nous pensions à une ouverture pour neuf heures, nous avions donc une heure d’attente. Ce temps, nous l’avons occupé en emmenant les enfants visiter Notre-Dame-de-la-Garde en voiture ; mal m’en a pris.

À notre retour après la visite, comme nous étions en milieu de matinée, je ne me suis pas posé de questions pour la sécurité de ma voiture. Je l’ai garée sur une petite place en plein centre de la ville. En sortant de l’exposition, nous avons pris notre repas dans un petit restaurant.
Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’à notre retour à la voiture. C’est Danièle qui m’avisa de l’ouverture de la voiture en me disant :
- Tu as vu ? Ta voiture est ouverte !
Mon réflexe fut de répondre non, étant certain de l’avoir fermée en partant à pied pour la visite.
Il s’avéra la véracité des propos de Danièle : notre véhicule était bien ouvert, car il avait été fracturé. Il ne nous restait plus qu’à constater l’ampleur des dégâts.
La portière fracturée occasionnait ma troisième déclaration d’accident dans la même semaine, ce qui fut la cause de mon exclusion de ma compagnie d’assurance.
Cette déconvenue m’a permis de découvrir le comportement de chacun. Pour Danièle, Arnault et moi, nous avons assumé cette situation sans manifester trop de rancœur : nos valises avaient été volées, des bagages pour un voyage de deux jours ne contiennent pas d’effets assez nombreux pour créer un très grave préjudice.
C’est la réaction de Bénédicte qui m’a surpris : elle pleurait. Tout étonné de cette réaction, je l’interroge sur ses larmes, en lui faisant remarquer qu’étant donné ses convictions, prenant le parti de Robin des bois « prendre aux riches pour donner aux pauvres », ce n’est pas deux ou trois slips et le même nombre de soutiens-gorge qui devaient être la cause d’un tel chagrin. Elle me répond : « Tu as raison, je suis surprise moi-même de ma réaction. Je me croyais tolérante et je m’aperçois que non. J’en veux à ces voleurs, et le pire, je leur veux du malheur, surtout qu’ils ont dérobé aussi mon vanity. »
Comme je ne connaissais pas ce mot, je me doutais bien qu’il s’agissait d’un quelconque objet. Afin de satisfaire ma curiosité, je lui demande à quoi correspondait cette appellation. Je m’entends dire : « C’est ma trousse de toilette. » Cette réponse me fait à nouveau sourire en lui rétorquant : « Ma chérie, on ne pleure pas pour ça, tu en rachèteras une autre. » Avec toujours des larmes dans les yeux, elle me répond : « Mais papa, j’avais tous mes bijoux dans cette mallette. » J’avais pris ce fric-frac avec philosophie, mais, entendant cette réponse, je fus contrarié pour les bijoux disparus. Je ne pouvais que me révolter en pensant aux voyous auteurs de cette mise à sac et à ce qu’ils allaient découvrir lors de l’ouverture de cette petite valise destinée à la toilette. Quel bonheur pour ces voyous, ne croyant trouver que des accessoires destinés aux ablutions de leurs victimes, ils vont mettre les mains sur ce petit trésor aux yeux et dans le cœur de Bénédicte.
Tout le temps du voyage du retour, je ne cessais de penser à ces malfrats et à la satisfaction qu’ils vont éprouver en se rendant compte de la valeur de leur méfait. En moi-même, j’en voulais à Bénédicte d’avoir mis ses bijoux dans ce bagage. Dans ma logique cartésienne, je ne lui trouvais pas d’excuse pour cette initiative d’avoir emmené ses bibelots pour deux jours de périple.
Pour ma plus grande joie, il y eut un dénouement heureux à cette anecdote. À notre retour à la maison (il faut croire à un certain doute dans l’esprit de Bénédicte), son premier réflexe en arrivant fut d’aller voir si elle avait bien emmené ses bijoux ; et que croyez-vous qu’il arriva ? Ses parures et ses breloques ne faisaient pas partie du voyage. Ils étaient restés dans leur écrin.
À cette annonce claironnée émanant de l’ancienne délestée, il m’est venu à l’esprit un raisonnement tartignole : j’ai pensé que nos voleurs étaient chocolats. Ce qui m’a procuré une certaine jouissance en pensant au peu de butin par rapport à celui qui m’avait obsédé tout au long du retour.
RENDEZ VOUS dimanche prochain à huit heure pour une autre histoire.
Il y a quelques années, nous avions plusieurs heures à passer à Marseille en attendant le ferry pour la Corse. Notre véhicule fut donc stationné en parking souterrain proche du Vieux Port.
Par contre, en regagnant la surface, de nombreux panneaux attirèrent mon attention : « Ne laissez pas d’objets de valeur dans vos véhicules, la Direction décline toute responsabilité en cas d’effraction … »
Nous partions pour quelques jours, valises en coffre, sacs et objets divers sur la banquette arrière.
Après une centaine de mètres sur le Vieux Port, les « petits panneaux » défilant en mon subconscient, je déclarais à Martine : « on retourne à la voiture » ! Ce qui fut fait promptement.
Pour passer le temps, toujours dans l’attente de l’embarquement sur le ferry, nous décidâmes de nous diriger vers le port de l’Estaque. Il est partie intégrante de la mémoire et de l’histoire de la ville : dans mon esprit défilaient les grands voiliers à poste, les bars le long des quais, le monde de Pagnol …
Après celle du stationnement, deuxième grosse déception, magasins fermés, immeubles décrépis, longues filles d’attente devant des bâtiments (centres sociaux, caisses allocations familiales ?), en des accoutrements vestimentaires qui ne vous projetaient pas forcément vers ceux de Manon des Sources.
C’était Alger, une ville « visitée » en 1963 et 1964 …
A chacun ses souvenirs et les voitures seront bien gardées !!
Ah Marseille la bigarrée !! Folklorique « Cheval de Troie » de l’Afrique, bien peu y débarquent pour retrouver César, Marius ou Manon des Sources et déguster une Bouillabaisse … Les préoccupations de ces « touristes » sont tout autres, Daudet, Giono et Pagnol peuvent dormir sur leurs deux oreilles !! F
PS: Quoique, entre Moulins à vent et sacs de farine du Boulanger, la poussière blanche flottait déjà dans l’air de la garrigue !!
Oui, la poussière blanche était souvent en suspension dans le fournil de Raimu, le boulanger. Mais on l’inspirait sans dommage.
Maintenant, triste époque, on l’apprécie de plus en plus souvent … en ligne !
Il faut bien reconnaitre que pour l’intellectuel en manque, avec ou sans concours de l' »IA », l’inspiration en « ligne » est de plus en plus « prisée » … Sans cependant loin de moi d’affirmer que sniffer un rail de chnouf, exaltera pour autant les révélations !!
Pour en revenir à la farine, inspirée via le nez de ce cher Amable, pas si anodin que cela, d’aucuns de ses collègues en ont faits les frais, avec le fameux « asthme des boulangers » ou pour le moins une tenace goutte au nez tout au long de leurs vieux jours. F