Une histoire vécue en prélude de l’écrit du Saint Jean.

Dans ma fonction d’agent immobilier, mon premier travail était de passer quotidiennement à la civette voisine de l’agence pour prendre les journaux. En très peu de temps, il s’était instauré une certaine complicité entre le vendeur de gazettes et moi.

Ce fort en gueule épicurien ayant la réplique et un humour caustique ne pouvait que me plaire. Après mon bonjour matinal, des joutes oratoires pleines de sous-entendus et de réflexions acerbes fusaient. Aujourd’hui ce monsieur étant devenu tavernier, lors de mes visites, nous avons l’occasion de nous mesurer dans nos invectives pour le plus grand plaisir des consommateurs présents.

Ce géant, eh oui, il est très grand, de bonne carrure et en plus moustachu, une moustache à la viking, ce qui lui donne avec ses cheveux grisonnants mi-longs, un air patibulaire qui ne m’impressionne pas le moins du monde. Malgré cet air acariâtre, sans bien le connaître dans sa vie privée, il est de bonne compagnie en société. Fini les flagorneries et venons au motif de cet écrit.

 Au cours de nos conversations du matin, lors de mes achats de journaux, nous nous racontions les événements qui meublaient nos vies et c’est comme ça qu’il m’apprit son lever matinal, une obligation de tous les jours, pour réceptionner la presse du matin et la classer dans les rayons avant l’arrivée des chalands.

Cet emploi du temps fit germer dans ma tête une idée de farce, étant moi-même un lève-tôt. Je mis à profit cette opportunité pour jouer du téléphone en l’appelant vers 3 ou 4 heures du matin. Au début de mon canular, je ne pensais pas que cette farce durerait aussi longtemps.

Croyant qu’il reconnaîtrait ma voix, ce qui aurait mis fin à la supercherie, eh non, cet homme qui se veut malin n’a jamais pensé que j’étais l’auteur anonyme de ces coups de fil, en plus, il s’en foutait complètement.

Moi, je m’en amusais, lui rappelant sa vie, les faits qu’il me racontait. Bien sûr, j’attendais quelque temps pour lui remémorer les récits qu’il narrait le matin, des histoires de chasses ou d’amateur de voitures anciennes, ses dadas, avec le temps, il oubliait que c’était lui mon informateur.

Quand j’avais l’occasion de rencontrer des personnes pouvant me renseigner sur des anecdotes le concernant, je ne manquais pas de les mémoriser pour pouvoir m’en servir lors de mes appels anonymes. J’avais installé un rite, commencer ma conversation par un tonitruant :

– Bonjour, c’est la voix de l’au-delà !!

Cette facétie a pris fin à cause de l’état de santé de mon interlocuteur. Suite à un problème cardiaque qui lui occasionna un arrêt de travail, comme il se morfondait dans l’appartement où il devait se reposer, son épouse m’enjoignit de lui rendre visite afin de lui remonter le moral.

Je me suis empressé de satisfaire à cette requête et c’est au cours de notre rencontre que je me suis dénoncé. Nous dégustions un verre de vin quand j’ai prononcé d’un ton très banal la phrase : la voix de l’au-delà.

Je revois la stupéfaction affichée sur son visage, ce qui me fait encore sourire aujourd’hui. Il me regardait avec des yeux écarquillés en exprimant sa surprise :

– J’étais loin de penser à toi pour ce canular !!!

– Je m’en amusais, car jamais tu n’as été désobligeant dans tes propos.

Ce même personnage est celui qui a beaucoup fait pour ma réputation de radin dans la ville, depuis le jour où je lui ai montré mon porte-monnaie avec les punaises pour éviter les tentations !

Il a tellement apprécié cette initiative qu’il ne peut s’empêcher, à chaque fois qu’une occasion se présente pour épater un de ses amis, il m’intime l’ordre d’ouvrir mon morlingue afin de prouver mon appellation de radin. Ce que je m’empresse de faire à la grande satisfaction des protagonistes de ma mise en boite, je me prête d’autant plus à ce jeu que la plupart du temps, on m’offre un verre, quel bonheur pour moi de boire à l’œil. 

Pour imager cette manipulation, un satisfecit fait partie de mon initiative.

À dimanche prochain !