L’ACTUALITÉ
J’avais 18 ans en 1962 !
La vie parisienne d’un provincial tel que moi, n’était pas attirée par la culture intellectuelle à sa portée. Je travaillais en usine, mes temps de loisirs ; je les passais plus dans les quartiers (plus festifs sinon plus chauds) que dans les musées et tous les endroits que l’on-dit culturels. Aujourd’hui encore, je ne regrette rien. Je me sens bien dans mon monde et je me fous des personnages qui se croient des êtres supérieurs au commun des mortels. Un pied-de-nez, du « primaire » que je suis, à tous ces personnages que je reconnais comme des intellos…
Ceci dit, il me faut revenir au Boléro. Une nuit, vers une ou deux heures du matin, à mon retour d’une escapade dans un de ces quartiers nommés ci-dessous.
Je vivais dans un logement loué dans un foyer de jeunes travailleurs sis dans une cité de la banlieue nord de Paris : Épinay-sur-Seine. Cet établissement logeait plus de 200 jeunes travailleurs, de tous les corps de métier, arrivant des multiples régions du territoire. Un panachage hétéroclite d’exilés, commençant leur carrière dans ce monde du travail en effervescence ; nous traversions les trente glorieuses !
Dans une commune voisine : Saint-Ouen, il en était de même pour les jeunes filles, elles aussi exilées de nos campagnes. Nos tickets de repas étaient interchangeables, par contre, à notre grande insatisfaction, l’accès des chambres nous était interdit. En cas de désobéissance, la punition était immédiate ; le renvoi des deux coupables.
Par plaisir, je servais de modèle pour les apprenties coiffeuses. Une bonne raison pour pavoiser du haut de mes dix-huit ans dans ce florilège de jupons. Je ne présumais pas encore à ma qualité de fesse-mathieu que je deviendrai ; j’aurais pu le subodorer à ce comportement, mais loin de moi cette pensée, à ces instants de soumissions, je profitais du savoir de mes praticiennes.
Revenons à ma chambre sise au septième étage de l’immeuble portant le numéro 723. Un couloir d’une certaine longueur desservait les chambres des résidents ; nous y accédions par un ascenseur. C’est en sortant de celui-ci, à l’heure citée plus haut que j’ai entendu les notes égrenées du Boléro de Ravel.
Pour moi, c’était une nouveauté. Chose invraisemblablement impossible, je ne pouvais pas ne pas avoir entendu cette musique, il y a plus de cinquante ans que l’œuvre en question est diffusée sur les ondes tous les quarts d’heure dans le monde entier ; ce qui en faisait le numéro 1 mondial des musiques occupant les espaces publics fréquentés par des mélomanes ou pas.
Les noires et blanches voguant dans l’air m’ont subjugué. Sans aucune gêne, j’ai toqué à la porte du logement d’où émanait la partition entendue.
Je connaissais le résident en tant qu’ajusteur à la THOMSON HOUSTON; employé comme moi dans cette société. Je ne conterais pas notre rencontre à cette heure avancée de la nuit, une chose certaine, j’ai quitté sa piaule en possession du disque qu’il m’avait offert, j’ai bien dit offert, pas prêté.
Même si je n’ai pas oublié ce geste, je n’y pense pas tous les matins. Il a suffi d’une émission de télévision, à une heure de grande écoute consacré à ce morceau de musique, pour me retrouver parmi les sinuosités de mon cerveau, dans le couloir emprunté il y a comme l’histoire précédente (TOUCHELION + L’ÂNE CHARLOT), plus de soixante ans.
Comment finir ma narration sans ajouter ce qui va suivre. A mon réveil à l’aube du lendemain, le nom de mon ex-voisin m’était revenu en mémoire : DUHAMEL, voisin de chambre de Jean-Claude Vialle, un peintre amnésique (voir l’article MES TABLEAUX N°1) édité le 21 08 2022.
A la narration de cette histoire à ma fille, je me suis entendu dire comme réplique :
– Pour Arnault comme pour moi nous n’avons pas attendu 18 ans pour connaître cette mélodie, elle nous a souvent bercé, que de fois cet air nous a accompagnés.
Bon Dimanche
J’espère te croiser aux halles ce matin
Nous nous sommes inventé de nombreuses histoires, avec Arnault, en écoutant le Boléro…