
Tout a commencé en sortant de l’église après avoir assisté à l’enterrement d’une cousine. À cette sépulture, j’ai retrouvé un ami d’enfance, Jean-Yves dit Nono. Nous ne nous étions pas revus depuis plus de vingt ans ; celui-ci était un beau-frère de la décédée. Beaucoup de choses avaient changé depuis notre dernière rencontre : nous étions devenus des hommes mariés et pères de familles.
Je savais par radio Chemillé, qu’il était instituteur en Afrique, je pensais en Algérie. Passées les émotions de nos retrouvailles dans ce triste moment, nous avons déblatéré sur nos passés et ce que nous faisions au temps présent. Il me narra un événement de sa vie en me disant que j’étais l’instigateur d’un événement important qui a bouleversé sa vie, celui de son mariage. Tout étonné d’être ce marieur d’occasion, j’écoute le récit de cette histoire :
Tu ne te souviens pas, me dit-il, mais un jour, au temps de notre jeunesse, tu m’avais emmené danser à Neuillé Pont Pierre. Tu as même payé mon entrée de bal. À l’époque, j’étais étudiant sans beaucoup d’argent, mais sache que je ne te rembourserai jamais ! Les bases d’un renouveau d’amitié venaient de se construire, le ton était donné. Suite à cette information, il m’apprend qu’il ne travaille plus en Algérie, mais en Égypte, dans la ville d’Assouan. Nous nous sommes quittés sur ces paroles.
Au retour, je conte à Danièle ce fait. Mais pourquoi ne m’as-tu pas présenté ton ami, nous qui sommes passionnés d’Égypte, Bénédicte et moi ? Il m’aurait été agréable de discuter avec lui », me dit-elle. Il était trop tard pour cette fois-ci, mais des événements futurs pallieront à cette carence.
L’année suivante eut lieu le mariage d’une fille de la défunte. Nono était invité ainsi que sa famille au mariage en tant que tonton et parrain de la future épouse. Nous, nous étions de la fête le lendemain en qualité de petits cousins.
Ce fut l’occasion de nouer une amitié entre nos deux familles : celle de Jean-Yves, composée de son épouse Simone, d’un fils Frédéric et d’une fille Karine. La nôtre, de Danièle, Bénédicte et Arnault. Cette amitié ne sera pas sans conséquences pour la suite de ce récit.
Les présentations faites, Nono et moi nous sommes retrouvés au milieu de nos souvenirs avec une certaine façon de garder en mémoire beaucoup de faits relatifs aux événements de notre jeunesse, ceux qui ont formé les premières années de nos vies, avec un chauvinisme qui n’a d’égal que le sien au mien. Entre nos deux épouses, le courant passa tout de suite ; quant aux enfants, il n’y eut vraisemblablement aucune réticence à une entente réciproque.
Il s’avéra inéluctable que les propos sur l’Égypte alimentèrent la conversation de cette première entrevue. Ne voulant pas rester en si bon chemin dans ce dialogue, il fut convenu d’une nouvelle rencontre, à une date ultérieure autour d’une table. Ce fut la première d’une longue série.
Au fur et à mesure des rencontres de cet été-là, nous avons envisagé, étant donné la passion de Bénédicte pour le monde des pharaons, que nous pourrions offrir à celle-ci de passer, avec l’autorisation de son école, le dernier trimestre scolaire chez ces nouveaux amis, ceux-ci travaillant comme enseignants. Simone, en tant qu’institutrice, et Nono, en tant que directeur dans une école pour des Français présents sur le chantier de la rénovation du premier barrage d’Assouan, construit au début du siècle dernier par les Britanniques.
Les vacances terminées nos amis sont repartis dans le pays de rêve pour Danièle et Bénédicte. La raison pour laquelle Danièle est citée est qu’au tout début de notre mariage, suite à une conversation où nous parlions de voyages, il avait été évoqué les transports aériens. Elle me fit part de sa conviction : en aucun cas, elle ne monterait en avion, elle avait bien trop peur. Je me rappelle lui avoir répondu :
– Je ne pense pas comme toi, vu ton engouement pour l’Égypte, si un jour tu as l’occasion de t’y rendre, tu n’auras pas d’autre solution que d’emprunter ce moyen de transport.
– Ne crois pas ça, il y a des bateaux, me dit-elle. Je rétorque :
– Impossible !
– Nos congés étant à l’époque de trois semaines, comment aurions pu nous y rendre afin de visiter ce pays, compte tenu du temps imparti à la traversée de la Méditerranée par ce moyen de transport ? Notre conversation se termina sur cette conclusion.
Les conversations suivant ces vacances, les questions sur l’Égypte se firent chose commune lors de nos repas. Le seul restant indifférent à nos dialogues fut Arnault : à cette époque, il s’intéressait à l’histoire ancienne de l’Amérique du Sud. J’ai toujours pensé par cette prise de position qu’il se démarquait de sa sœur ; tout jeune qu’il était, son intéressement pour ces civilisations n’avait d’égal que celui de Bénédicte pour le monde ancien d’Égypte.
Nous commencions les formalités concernant le futur voyage de Béné (la demande de passeport…). Mais, petit à petit, une autre façon d’envisager l’avenir de cette expédition africaine prit corps. Tout compte fait, si nous accompagnions notre fille, c’était l’occasion ou jamais de réaliser le vœu de Danièle : aller en Égypte !
Et c’est comme ça que la décision fut prise d’organiser une expédition familiale. Mais attention, si les voyages par eux-mêmes ne posaient pas de problèmes, question finance, il n’en était pas de même. Il nous fallait faire les fonds de tiroirs, allant jusqu’à casser la tirelire des enfants. Pour Béné, pas de refus, mais pour Arnault, il mettait un veto justifiant son refus par un désintéressement de la culture pharaonique. Il ne ressentait nullement le besoin de nous accompagner dans ce périple. Nous montrant comme des « parents indignes » .
Nous n’avons pas tenu compte des récriminations de notre jeune garçon, nous le trouvions un peu immature du haut de ses onze ans pour juger de ce qui était bon ou mauvais pour son éducation (faut dire qu’il ne fut pas difficile à convaincre et ce serait mal connaître notre pouvoir de persuasion). Voilà pourquoi nous avons fait faire trois passeports, car, pour faire des économies, j’ai inscrit Arnault sur le mien, idée qui se révéla des plus judicieuses pour le déroulement des événements financiers à venir.

AÉROPORT ROISSY CHARLES DE GAULLE
Étant des néophytes en tant que voyageurs intercontinentaux, nous avons suivi les consignes de nos amis vivant à Assouan. Ceux-ci nous recevaient chez eux sans limite de temps. Ils se faisaient une joie de nous prendre en charge dès notre débarquement à Assouan pour nous servir de guides afin de nous faire visiter la Haute Égypte, nous laissant à notre propre initiative la visite du Caire et de ses environs.
Écoutant leurs conseils et comme nous devions préparer le voyage seuls, c’était à moi de trouver une compagnie aérienne au meilleur prix. Un ami voyagiste nous dégota un aller-retour sur Air Italia pour notre séjour au Caire. Il s’agissait des amis : M. et Mme Baudoin (le quatrième centenaire : c’est mon rafraichissement de mémoire qui me ramène dans cette nouvelle narration), artisans mécaniciens à Nouans-les-Fontaines, un petit village du sud du département. Ce couple me servait d’agents dans l’exercice de mon travail ; par bonheur, ils avaient un gendre travaillant dans un Novotel. Celui-ci, dans ses anciens collègues, comptait le directeur du Novotel au Caire. Il négocia nos nuitées auprès de son ami qui nous accorda une réduction de 50% sur le prix total (quelle aubaine !).

LE NOVOTEL DU CAIRE
Le jour du départ, un de mes frères nous servit de taxi entre Tours et l’aéroport de Roissy ( il ne faut pas croire que j’étais très rassuré de remonter en avion suite à mon vol entre Cologne et Nantes, mais ceci est une autre histoire : UN VOYAGE INOUBLIABLE, édité le 30 septembre 2022 ), d’où nous nous sommes envolés. Voyageant sur AIR ITALIA, nous avons fait une escale de deux heures à l’aéroport de Rome avant de repartir pour Le Caire, où nous avons atterri le soir. Je ne me rappelle pas l’heure, mais la nuit était tombée, une nuit très noire.
Première surprise : une loi égyptienne totalement inconnue de moi nous obligeait à changer mille cinq cents francs français par passeport en livres égyptiennes, soit 100 francs pour 7,5 livres. Ce fut à ce moment, sans le savoir, que j’ai remercié le ciel d’avoir inscrit Arnault sur mon passeport générant l’économie en change de 1500 francs .
Sous les conseils de Nono, j’avais prévu un budget d’environ 8000 francs pour notre séjour. J’ai commencé à m’inquiéter tout de suite question argent : dans nos prévisions, Jean-Yves m’avait toujours parlé de 15 livres, soit 100 francs. Faisant le compte à la sortie de ce « racket », j’en déduisis que notre escarcelle fonderait comme neige au soleil (c’est le moment de le dire ). La cause de mon tracas était mon manque de maitrise en prévision des futures dépenses vu ce taux de change.
Pour arranger mon moral en cet état de chose, j’avais voulu serrer tout de suite les boulons question dépenses. Voyant dans le ciel noir de la nuit l’enseigne du Novotel, celle-ci ne me paraissant pas très éloignée. Je prends la décision de faire ce trajet à pied, mais, à peine sortis de l’aéroport, nous nous retrouvons dans un fatras sur un sol non goudronné brut, une espèce de terre battue, ne voyant même pas où nous mettions les pieds.
Il n’en fallait pas plus pour que nous soyons dans l’obligation de prendre un taxi et, comme par hasard, sortant de l’obscurité, une voiture tous feux éteints se présenta comme taxi. Quelle aubaine, nous acceptons sans discuter les offres de service de ce chauffeur ; l’erreur à ne pas commettre !
Nous embarquons dans la berline, voyant toujours l’enseigne du Novotel, Je présumais de la direction à prendre. Contrairement à ma logique, je constate que notre chauffeur ne tient pas compte de mon raisonnement et se dirige, je ne sais pourquoi (à présent, je crois savoir), dans un dédale de rues. Je ne pouvais m’empêcher de lui indiquer du doigt la direction de l’enseigne de l’hôtel. Enfin, il nous débarqua à bon port et me délesta pour une ballade de 15 minutes de 10 livres. Arrivés à l’hôtel, nos chambres étaient retenues : une pour les enfants, une pour nous. Toujours inquiet pour les finances, mais n’ayant pas la possibilité de changer de cap, je m’endormis en me disant que nous verrions bien ; quand le vin est tiré, il faut le boire.
Au réveil, mes inquiétudes ne s’étaient pas estompées, elles furent même amplifiées lors de la lecture du tarif des chambres affiché sur la porte, soit 75 livres la nuit pour une chambre. Calculant dans ma tête la vitesse à laquelle mon pécule allait s’amoindrir, je me suis dit qu’à cette cadence, notre séjour devrait être écourté.
Au petit-déjeuner, nous avons demandé à voir le directeur du Novotel pour le remercier et lui donner le bonjour de son ami. Ce monsieur nous a reçus dans son bureau, il s’est mis à notre disposition pour nous conseiller dans la visite du Caire et de ses environs. Il a appelé un taxi pour nous convoyer dans les différents sites à voir et négocier le prix pour la journée. Comme je lui faisais part de mon inquiétude par rapport à nos finances, sa réponse ne fut pas agressive mais directe :
– Vous savez, quand les gens n’ont pas de moyens financiers, ils ne doivent pas venir en Égypte. L’Égypte est un pays très cher et vous avez de la chance, vous avez moitié prix sur la tarification des nuitées à l’hôtel ! Ce qui était vrai.
Pour ce dimanche, nous en resterons à cette mise en bouche.
Ouvrir le tiroir aux souvenirs c’est imparable, certains remontent immédiatement à la surface. Et ceux relatifs à Jean-Yves sont nombreux. Un écrivain franco-libanais attaché à l’Afrique aurait pu écrire, faisant suite à un premier roman, un second … Nono l’Africain !
Jean-Yves nous disait il y a quelques années qu’il avait fêté ses « cinquante ans d’Afrique », Algérie, Égypte, Guinée-Conakry, Maroc, Mayotte …
Nous avions nous-même « loupé » l’invitation à Assouan mais nous nous étions précipité, quelques années après, en Guinée-Conakry. De superbes souvenirs, bien sûr, classes de découverte avec sa femme, institutrice, dans de petits villages guinéens desservis uniquement par des sentiers et des ponts de branches sur les marigots … Visite des mines de bauxite de Kamsar, exploitées par des américains mais principale ressource financière du pays. Excavateurs et camions gigantesques pour ces mines à ciel ouvert, Martine n’arrivait pas à la moitié de la hauteur des roues de ces camions (100 tonnes de minerai dans une benne) …
Et cætera, et cætera …
Nous attendons avec impatience la semaine prochaine, la suite de « ta campagne d’Égypte » …
Amusant ! Il me semble percevoir dans l’exposé en toute candeur de » Ta campagne d’Egypte » comme un petit air suranné de « La Famille Fenouillard part en voyage », dommage que les dessins (ou photos) ne soient présents, afin d’en illustrer les épiques péripéties !! FR