Deux histoires ayant un rapport direct avec les champignons.
Pour un cueilleur de ces mets, il est de notoriété qu’il m’a fallu être hors la loi on ne peut plus fréquemment, en violant plus que de raison, des propriétés et des forêts privées. Pour certaines, pas besoin d’enjamber les clôtures, il suffit de franchir l’orée pour se retrouver chez autrui, ce qui n’était pas toujours le cas pour cueillir quelques-un de mes préférés.
Question goût, les rosés des prés, les mousserons ces petits champignons appelés aussi « colonies » ou encore « pieds durs », deux appellations dues à leurs caractéristiques, la première de pousser en rond des sorcières, la deuxième est l’évidence même.
Il me faut obligatoirement sauter les fils de fer barbelé délimitant « la frontière » des prairies qui me sépare de ma future cueillette. Bien sûr, je n’accomplis pas ces actes innocemment, je ne suis pas complètement idiot, mais comment faire autrement sinon transgresser la loi pour satisfaire ce loisir.
En plus de 50 ans d’infractions, il m’est arrivé deux fois d’être surpris par les propriétaires en flagrant délit de ces actes répréhensibles.
Pour la première de cette confrontation qui n’a pas eu lieu ! La suite de mon récit donnera l’explication de cette non-logique phrasée.
Le site de cette scène, la forêt sise à quinze kilomètres au sud-ouest de Tours que je parcours depuis qu’une paysanne, la femme d’un de mes clients m’a entraîné dans son sillage sous le couvert du sous-bois jouxtant les bâtiments de l’exploitation.
Le décor posé où s’est déroulé l’avatar qui me vaut cette petite narration, me voulant futé quand je déambule à travers bois, je me déplace en homme comme traqué ayant mes sens en éveil particulièrement l’ouïe et la vue, ne traversant les allées qu’avec le maximum de précautions, jetant un regard à gauche et à droite avant de prendre l’initiative de me mettre à découvert dans cet espace dégagé.
Des précautions qui se sont avérées inutiles un certain matin de pérégrinations sous le couvert de la futaie inspectant mon coin à girolles, je me suis rendu visible et pourtant, j’étais sur mes gardes en m’apprêtant à sauter un fossé. Je me suis fait voir malgré mon reflex de retrait, il était trop tard.
Trois hommes en tenue de chasseurs à bord d’une méhari (ces petites voitures en vogue dans les années 1970, elles étaient très prisées par les propriétaires terriens avec les avantages propres à ce véhicule qui se voulait une petite copie des jeep américaine, celles qui ont participé et beaucoup fait par leur maniabilité dans les manœuvres tout-terrains en 1944 afin de chasser les Allemands de notre territoire) ne pouvant pas me voir hurlèrent en chœur.
– Il est là ! Il est là !
Tout en sautant dans leur véhicule, j’ai tout de suite compris que le « il » c’était moi.
Que faire? fuir!
La première pensée qui m’est venu à l’esprit, me présumant gibier, j’ai réalisé l’attitude de pourchasseurs, tenant compte de leur réaction à mon débuché dans le découvert de l’allée, sachant que ma course était perdue d’avance, je me suis embusqué derrière un chêne en attendant leur arrivée.
Comme prévu, ils ont stoppé leur véhicule à l’endroit où il m’avait vu, ont sauté comme un commando, mais là s’arrête mon histoire ayant pris le parti de les affronter en sortant de mon affût.
Bien m’en a pris et j’en suis encore très étonné de la réaction inattendue de mes présumés pourchasseurs, car celle-ci fut de me toiser sans une parole, rien ! Pas un mot, leur reflex fut de remonter dans leur véhicule et de partir.
Ce pour quoi j’ai commencé cette narration en présentant cette histoire comme paradoxale.
Depuis ce jour, je ne peux faire autrement en errant dans ce bois, de me remémorer cet avatar qui a eu lieu quand j’avais une trentaine d’années dans les années 1975 – 1980.
Au cours de toutes ces années de pérégrinations dans cette partie de forêt, je me suis habitué à son environnement étant toujours sur le qui-vive pour les raisons déjà nommées, mes incursions en domaine interdit.
Un seul bruit incongru m’alertait, ne serait-ce que le nouveau chant d’un oiseau (voir dans mes histoires d’oiseaux le loriot et la tourterelle des bois).
Le tintement d’une clochette m’indiquant un chasseur de bécasses, eh oui, pour tirer ce gibier, le traqueur est accompagné d’un chien d’arrêt équipé d’une clochette indiquant par son tintement les mouvements du complice à quatre pattes. Pour celui-ci, le silence de la clochette lui indiquait l’arrêt de son auxiliaire, il ne lui restait plus que de prendre position avant de donner l’ordre au meilleur ami de l’homme, lever sa proie.
Bien entendu, je mettais à profit cette alerte pour me carapater dans le sens inverse de ces scènes de chasse.
Une autrefois, ce sont des voix qui m’ont alerté. Je me suis surpris dans mon comportement de fugitif, en agissant comme un gibier dans la même situation, en fuyant le plus discrètement possible, les premiers cent mètres d’un pas pressé sans ralentir, avant de me retourner pour constater la non-poursuite comme le font les animaux qu’il m’est arrivé de déranger subrepticement. Leur premier reflex, s’éloigner à fond de train. Une certaine distance parcourue, ils s’arrêtent pour regarder en arrière le lièvre juché sur ses pattes arrière, le chevreuil se retourne simplement.
Pour ne pas en rester là, je ne peux que continuer dans ce registre avec une autre histoire bien plus récente. Le site de cette aventure, une prairie clôturée. Pour marauder dans cette prairie, il ne me suffit pas de passer outre la lisière comme je le fais pour pénétrer dans le lieu où s’est déroulé l’histoire précédente.
Il me faut pour accéder aux espaces prédisposés à la pousse de mes cueillettes (rosés des prés, mousserons, pieds bleus, coulemelles suivant les saisons) enjamber les fils de fer barbelés, ce que je fais allègrement. Jamais je n’ai rencontré âme qui vive, en cinquante ans d’errance, hormis les chevaux. Si, une fois, un chevreuil s’est carrément envolé en faisant des bonds au-dessus des bouillées d’arbrisseaux, les seuls hôtes de ces pâtures.
Je parcourais ces surfaces agraires en toute quiétudes, j’ai bien remarqué lors d’une pérégrination, la venue d’humains dans cet espace. J’ai tout de suite pensé en présumant que ces visiteurs n’étaient d’autres personnes que les propriétaires, car ils avaient positionnés une caméra sur un pieu. Malin comme je suis, j’ai avancé vers l’objectif de l’appareil enregistreur pensant qu’il avait installé dans le but de filmer la faune sauvage.
J’étais loin de penser à ce que me réserverait ma naïveté. Il m’a fallu vieillir de plus d’un an pour être confronté aux conséquences de cette négligence.
C’est en déambulant dans les rayons d’un supermarché que je fus interpellé par un étudiant vraisemblablement en stage pour travailler durant sa période de vacances. Ce jeune hobereau ou freluquet, je ne le nomme pas innocemment de ces qualificatifs, car à sa façon de m’apostropher, j’ai ressenti venant de sa part une telle arrogance que je suis encore à me demander comment il se peut qu’un gamin encore boutonneux à cet âge où il devrait avoir l’esprit empreint de tolérance et de mansuétude, puisse prendre des attitudes propres à de vieux réacs ?
En m’apostrophant d’un ton agressif, en me montrant sur l’écran de son téléphone (i Phone) une photo de mon visage en gros plan.
-Vous reconnaissez cette personne ?
– Comment voulez-vous que je ne reconnaisse pas ?
– Monsieur, vous êtes un violeur.
Cette appellation me prête à sourire.
– Oui Monsieur, vous avez violé une propriété privée, Toujours sur un ton de justicier fort de son bon droit.
Vexé, je crois par mon sourire narquois, il me narguait du haut de ses, peut être, vingt ans et encore, je ne suis pas sûr qu’il eût cet âge.
C’est à cet instant que je me suis rappelé de la caméra dans la prairie, eh oui, bêtement, je me suis présenté sans méfiance devant l’objectif, ne pensant pas qu’une machine à faire des films ne faisait aucune distinction entre les animaux et les humains.
Ce qui m’a le plus interloqué, ce fut l’outrecuidance de ce jeune freluquet en m’adressant la parole. Comme de bien entendu, je lui ai fait remarquer qu’avec le temps, il en rabattrait de sa superbe.
Je mis fin à cette altercation en prononçant cette phrase, avant de tourner les talons.
– Tu vois jeune homme, je te donne rendez-vous dans cinquante ans afin de voir, comme je l’espère, et juger si ton arrogance se sera amoindrie.
Cette histoire se voudrait être la dernière dans le registre champignons ? À moins que mes déambulations en forêt aillent encore imager mon futur.
Il se peut et comme je l’espère, d’autres événements viendront ornementer mes recherches bucoliques, soyez certains, je m’empresserai de compléter cette série.
Dimanche prochain, un nouveau registre : nos animaux de compagnie.
récit bien relaté ,on sent le coutumier des bois, des champignons et même de la chasse.