7 décembre 2024

Les sabots de bois et le château de la Marchère.

Cette liaison entre ces deux noms n’est pas fortuite. Je profite de ma promiscuité lors de ma vie parisienne avec Monsieur Leddet et d’un souvenir avec lequel il me fallait trouver une occasion pour l’évoquer : Les cossins, mot usité dans notre parler chemillois pour nommer les sabots de bois.

Je ne me rappelle pas d’avoir vu des enfants se déplacer en sabots de bois ; par contre, il n’était pas rare de croiser des personnes âgées qui, pour jardiner, utilisaient des cossins. Je suis à peu près sûr d’avoir vu maman, papa, grand-père et grand-mère avoir aux pieds ce genre de chaussures pour déambuler entre les planches du potager dans le but de jardiner.

Pour nous chauffer, papa achetait des arbres sur pied qui n’attendaient que d’être bûcheronnés afin de les transformer en stères et fagots. Le but était d’alimenter le foyer de la cuisinière et celui des poêles, appareils destinés au confort de sa progéniture. Pour des raisons de sève, ce travail était exécuté l’hiver.

L’endroit prédisposé à cette activité se situait dans une propriété nommée le château de la Marchére. Papa nous invitait, Jean et moi, pour l’aider dans ce travail. Malgré le froid, nous prenions plaisir à nos tâches : entasser le bois et faire les fagots appelés aussi bourrées. Le plus jubilatoire était d’alimenter le feu avec les rameaux ne pouvant être transférés.

Je devais avoir une dizaine d’années quand papa est revenu du bourg avec une paire de sabots. Je présume qu’il avait discuté avec le sabotier, M. Vallet. Comme celui-ci était en fin de carrière, il devait solder une partie de son stock, ce pourquoi papa lui en a acheté une. Pour la pointure, il a dû la prendre au hasard ; la chance a voulu que cela soit la mienne. Le gamin que j’étais se faisait une joie de marcher avec cet équipement. Il m’a été donné ainsi d’expérimenter une aptitude de confort ; je ne parle pas de la souplesse, mais de celle de tempérer la plante des pieds du froid en cas d’enneigement. Je garde en souvenir cette qualité quand papa nous a emmenés dans la futaie susnommée et qu’il avait neigé.

Ainsi finit mon histoire de sabot que, après m’être renseigné auprès d’un aîné de mon village, Chemillé-sur-Dême, nous nommions bien « cossins ».

Tous les propriétaires de jardins se déplaçaient avec ce genre de chaussures paysannes que nous quittions à la porte des logis. Aujourd’hui, elles ont été remplacées.

Tout ce blabla pour revenir à la propriété de la Marchère et à son propriétaire, monsieur Claude Leddet, le bienfaiteur de mon passage dans la capitale.

Ce personnage, déjà présent dans mes histoires de jeunesse, si aujourd’hui je l’invite une nouvelle fois, c’est à cause d’un rebondissement dans nos relations, 45 ans après les événements relatés dans les histoires de Paris.

J’ai dans mon histoire évoqué nos relations, celles d’un homme important dans ses responsabilités professionnelles, son rang de notable à Chemillé. Le jeune ouvrier que j’étais ne présumait en rien d’un événement improbable qui, grâce à ce monsieur, se déroulerait à la veille de ma retraite.

Pour moi, ma vie en tant qu’ajusteur travaillant dans les ateliers était toute tracée. Les circonstances en ont fait autrement. Sans ces mutations, mes histoires ne seraient point autant disparates.

Celle-ci, comme vous allez le lire, ne va en rien rabattre mon clapet en tant qu’orgueilleux.

En l’an 1994, papa m’informe d’une requête faite à mon égard de la part de monsieur Claude. Celui-ci désirait me voir sans raison évoquée. Comme de bien entendu, avec beaucoup de plaisir, je me suis empressé d’obéir à cette invitation.

Nos relations entre ma vie parisienne et cette date en étaient restées aux rites de politesses très courtoises sans plus. Comme je le relatais dans mes histoires, nos têtes-à-têtes lors de nos voyages se déroulaient en tant qu’auditeurs de la TSF.

Quand j’ai franchi la porte du château suite à l’invitation de mon hôte, il m’a invité à le suivre dans son bureau et là, patatras. Sans plus de blablas, il m’informe de son vœu qu’en tant qu’agent immobilier, il me confiait la mission de vendre le domaine de La Marchére. J’étais complètement interloqué.

Ma réponse :

— Mais monsieur Claude, ce n’est pas un Duhard qui va vendre La Marchère. Pour moi, vous y êtes né et vous allez y mourir.

Il s’ensuivit les motivations de sa décision que je ne voulais admettre. Pour autant, un autre rendez-vous était à prendre : n’étant pas un expert dans la négociation de propriétés de cette importance, il me fallait contacter un professionnel de cette spécialité.

Cette discussion terminée, nous sommes descendus boire un verre. Il était prévu une rencontre avec mon confrère. Il me suffisait alors de réunir les trois parties concernées afin de proposer à la vente La Marchère.

Je me sentais mal à l’aise suite à cet entretien, ce pourquoi, le soir même, j’ai téléphoné à Jean Lou, le fils, pour l’aviser de la démarche.

Ma prophétie du jour a malheureusement pris forme. Ce qui arrêta la mise en vente : monsieur Claude, dans les trois semaines qui ont suivi, a eu un accident qui a provoqué son départ vers l’infini.

Il est vraisemblable qu’une histoire relative à mon amitié avec Jean Lou qui dure depuis ces années de bûcheronnage prendra forme.

Toutes ces lignes pour justifier de ces deux extrapolations : la deuxième est venue bien longtemps après, relatée dans mon histoire : Madame Ugen.

Dans les deux cas, si au temps de mes voyages en compagnie de monsieur Leddet, un voyant nous aurait annoncé ces dires :

— Dans quarante ans, vous, monsieur Leddet, vous solliciterez le blanc-bec qui vous fait face afin qu’il négocie la vente de votre propriété : La Marchère !

Il m’amuse de narrer cet événement du même genre que celui de madame Ugen. Toutes ces éventualités qui ont agrémenté ma vie étaient-elles peut-être des hasards ?

2 Comments

  • Je n’ai pas, malheureusement, une mémoire « imprimée » comme la tienne mais j’ai aussi, dans mes souvenirs de jeunesse, des souvenirs de sabotier.
    C’étaient ceux rapportés par Armel Guillet, le père de René, l’ancien maire (des branches communes dans notre « arbre »). Il habitait une petite maison près de la boulangerie Dubreil. Entre les deux, ce qui sera plus tard notre maison de jeunes mariés, restaurée d’ailleurs en maçonnerie par ton frère Jean.
    Armel, depuis longtemps en retraite, nous racontait ses souvenirs de jeunesse à lui. Beaucoup oubliés par moi, quelques uns subsistent : « Mon fi, aux vendanges de 93 (une année marquante en œnologie), le vin était bon, mais qu’il était bon. Et il y en avait beaucoup, on ne savait qu’en faire, on en mettait même dans des bassines … ».
    Voilà, pour conclure, ce n’est pas le temps qui passe, c’est nous qui passons …

  • Tout d’abord merci du cliché de ce superbe « trompe l’oeil » mécano-soudé en pièce jointe, dont le réalisme défie toutes nos bases de la perspective !!! A se questionner si c’est une photo de synthèse ou un objet savamment « maquillé » qu’il convient de regarder sous un angle bien particulier, afin d’obtenir cette troublante impression de torsion de l’espace !!
    Mon Grand-Père portait également des sabots de bois, il s’en faisait fabriquer une paire chaque année par un sabotier du sud Touraine, qui je me souviens lors de la livraison, dans son atelier bruyant et poussiéreux, lui ajustait en fonction de son anatomie. L’hiver il les portait sur des chaussons de basane et selon leur utilisation (déambulation ou jardinage) qui variait compte tenu de leur usure, ils étaient cloutés (avec des caboches) ou garnis de bandes caoutchoutées.
    Belle confiance en effet envers toi, de ce Monsieur Claude ; le simple fait de te véhiculer sans commentaire, en écoutant sa radio, offrant par l’analyse de sa conduite une mise à nu des grands traits de son caractère : patience, attention, gout du risque, correction, respect du code, courtoisie … Une expérience enrichissante, dont j’ai pu profiter à maintes reprises, au bout de 50 Km, si vous êtes attentif, compte tenu de sa conduite et de ses commentaires et de ce qu’il écoute à la radio, vous savez tout et ça ne trompe pas, du caractère et de la confiance que l’on peut accorder à un pilote, que vous ne connaissiez pas une heure auparavant. FR

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