Je ne suis pas un inconditionnel de cette fête, mais que voulez-vous, on ne se refait pas ; alors, ceci dit, mon orgueil faisant feu de tout bois, revenons dans mes histoires.
Dimanche 10 juillet 2016.
Ce 10 juillet 2016 fut particulier, pas uniquement pour la finale de la Coupe d’Europe de foot. Bien que la défaite des Bleus ait attristé un grand nombre de Français, y compris moi-même, cet événement tragique ne fut pas, pour mon cas, le seul accroc à avoir émaillé ce dimanche d’été.
Comme tous les jours, je veille sur la quiétude du quartier. Cette démarche consiste tout simplement à épier deux de nos voisines d’un certain âge : La première, Claudie ; appelons les choses par leurs noms : quand je dis voisine, c’est le terme géographique. Nos maisons étant vis-à-vis, il nous est on ne peut plus simple de veiller sur le déroulement d’indices témoignant de la bonne santé de Claudie, guidée par l’ouverture des volets. Nos attaches avec cette famille sont tellement fortes qu’il viendra un jour où j’écrirai ces liens qui nous unissent. Ce sera pour plus tard dans une autre histoire.
Pour notre deuxième voisine, c’est une autre relation !
Cette dame est de vingt ans mon aînée. Nous avons fait connaissance sur le marché du quartier devant l’étal d’un maraîcher producteur local. Ce légumiste haut en couleur qui haranguait le chaland d’une voix de stentor, ce qui lui a valu d’être plusieurs fois averti par la police locale pour les éclats de son verbe, suite aux récriminations de ses collègues ressentant une gêne occasionnée par ces « exhortations ».
Il faut croire que sa façon de faire était efficace, car il nous fallait faire la queue pour être servis, entre autres, les mêmes légumes proposés par tous ses confrères. Ce monsieur avait une particularité : il vendait un cresson extra cultivé dans sa cressonnière. Je discutais souvent avec lui, car je le connaissais en tant que client de la concession de matériel agricole, société que j’avais représentée comme VRP dans le passé.
Étant d’un tempérament bavard, il ne me faut pas attendre très longtemps pour lier la conversation avec les personnes qui, comme moi, sont dans la file d’attente. Comme il y a pas mal de temps, je ne me souviens pas qui des deux a entamé la conversation.
Je pense que me connaissant comme je me connais, je dois avoir provoqué le dialogue avec cette dame qui m’était inconnue, mais pas pour longtemps, car elle m’avisa en me répondant :
– Vous ne me connaissez peut-être pas, mais moi, par contre, je sais qui vous êtes : votre maison se situe à deux pas de la mienne et je vous vois souvent vous affairer avec votre voisin à la sortie de votre soupirail, j’aperçois aussi vos enfants qui promènent leur petit chien. Ce fut les premiers mots qui annonçaient les prémices d’une amitié, car, de ce jour, nous sommes revenus du marché dominical en compagnie l’un de l’autre. Nous avons appris à nous connaître.
Nos rencontres sont devenues plus ponctuelles le jour où cette dame a connu un petit différend avec un autre couple voisin. Cet événement eut comme conséquence : plus de porteurs de pain, étant donné que ces personnes avaient pour habitude de lui rapporter le pain, et de ce jour, ils ont cessé de lui rendre ce service.
Il est vraisemblable que j’ai offert de me substituer à ces personnes pour lui rendre ce service de porteur de pain. Bien m’en a pris, cette décision a conforté une amitié commencée à nos retours de marché. Je ne faisais pas d’effort, vu que j’allais à la boulangerie quotidiennement pour nos propres besoins et ceux de Claudie, l’autre voisine.
Ce rite mis en place a créé une relation étonnante entre cette dame et moi du fait de la disparité de nos classes sociales. Il me plait de sériner ma façon d’analyser cette histoire en imaginant nos vies réciproques il y a plus de cinquante ans. Cette dame était la femme d’un ingénieur qui a eu la responsabilité d’installer le CEA dans les anciennes poudreries à Monts. Du fait de cette situation, un logement de fonction était alloué à cette famille : une grande maison bourgeoise que les salariés de l’entreprise dénommaient « le château ».
Si je fais état du standing de cette dame, c’est pour mieux comparer nos différences de train de vie. Cet état me fait tenir ce raisonnement, faisant parler un ou une visionnaire qui s’adresse à l’héroïne de mon histoire.
- Regardez ce jeune ouvrier qui franchit la porte de l’atelier en tant qu’ajusteur. Dans un demi-siècle, ce gamin vous provoquera avec une certaine insolence, ce qui sera étonnant : vous rentrerez dans son jeu, vous irez jusqu’à échanger vos connaissances sur les énigmes des grilles de mots croisés, il se permettra de vous faire des reproches sur votre façon de former les lettres dans les cases de celles-ci.
Votre manière de le recevoir, pas toujours apprêtée : Un matin où vous serez en toilette, il vous remerciera de vous être faite belle, croyant que c’était pour lui, il vous complimentera de votre élégance, et comme réponse à cet éloge, vous lui rétorquerez à son grand désarroi :
- J’attends la visite du docteur.
Qu’il ferait du vinaigre avec des bouteilles de vin : Du haut Brion, et bien d’autres grands crus de votre cave.
Vous l’entretiendrez de faits relatant de votre passé et de bien d’autres choses ayant trait avec votre vie.
Quand vous le jugerez insolent pour une réflexion qu’il vous adressera pour toute réponse, et malgré votre rang et votre âge, vous lui ferez comme réponse : un pied de nez.
Cet état des lieux accompli, revenons au titre de cette histoire. Pourquoi cette date 10 juillet 2016 : ce jour ne fut pas ordinaire, à cause de l’attitude de cette dame. Sans cet événement, il n’est pas certain que ces pages aient été écrites.
Comme tous les dimanches avant de me rendre sur le marché je passe demander à mes deux voisines si je dois leur ramener du pain. Ce matin là, en sortant de la maison, un état de fait m’a inquiété : les volets du rez-de-chaussée de ma deuxième voisine étaient ouverts. Vu l’heure, cela me paraissait anormal. Une question m’a turlupinée : je ne me souvenais plus si j’avais vu la veille ces contrevents fermés, car dans le cas où ils seraient restés ouverts, cela serait inquiétant. Il me fut impossible de me rappeler si oui ou non elles étaient closes.
Plus inquiétant, personne ne répondait ni aux coups de sonnettes ni aux appels téléphoniques censés me tranquilliser. Le silence était la seule manifestation de mes multiples sonneries. Je pris la décision d’appeler Danièle en lui suggérant de prendre contact avec les enfants de cette dame. Mon angoisse ne s’apaisa pas au rappel de Danièle pour m’annoncer que ces appels restaient eux aussi sans réponse.
Étant de plus en plus inquiet, j’ai pris l’initiative de faire appel aux pompiers. La diligence de ces hommes fut remarquable : ils ont investi la maison, la recherchant de fond en combles sans résultat. J’ai particulièrement apprécié leur dextérité : en arrivant, ils m’ont interrogé sur le pourquoi de mon appel. Suite à ma réponse, leur première initiative pour pénétrer dans le logis me causa une anxiété, celle-ci était de casser une vitre de la fenêtre du rez-de-chaussée, celle-là même qui était la cause de mon inquiétude. Il faut dire que ce futur geste de casseur me culpabilisait : n’étais-je point l’instigateur de cette situation ? Je fus rassuré en voyant un autre véhicule rouge de ces soldats du feu avec une échelle sur la galerie, ce qui a permis à ces hommes de passer par le balcon du premier étage : les volets entrouverts ont donné accès à la porte fenêtre, qui elle était ouverte.
Suite à cette recherche vaine, ils ont quitté les lieux sans plus de palabres. Ils ont, quant même eux, en constatant ma confusion, quelques mots pour me féliciter de mon initiative.
Cette histoire aurait dû s’arrêter à cet instant, mais ma gentille voisine en a rajouté une couche. L’après-midi, en personnes bien élevées, la maman et la fille, après avoir consulté leur répondeur téléphonique, se sont manifestées afin de connaître la cause des appels de Danièle du matin. La fille de mon intrigante s’est confondue en remerciements.
Quant à la maman, la personne en cause de tout ce dérangement, après que Danièle lui ait narré les faits de cette matinée mouvementée, eut comme réponse.
- Votre mari n’écoute jamais ce que je dis, il savait bien que j’assistais à la cérémonie du baptême de mon petit fils.
Quelle mauvaise foi de la part de cette dame. Il est vrai que deux mois auparavant, suite à une visite du papa et du futur petit chrétien, quand elle me les a présentés, elle était tout heureuse de m’informer de ce baptême.
Connaissant bien ma voisine, je la provoque en lui disant.
- Je suis heureux pour lui et pour vous, car pour une fois, vous avez l’occasion de sortir.
- Non, je n’irai pas, car je suis trop fatiguée, telle fut sa réponse.
Je suis certain de lui avoir répondu que ce n’était pas une excuse, que c’était le moment ou jamais de retrouver sa famille, ne serait-ce que pour la cérémonie religieuse. Malgré mon insistance, sa réponse fut toujours négative.
C’est pourquoi ce futur événement à venir m’était sorti de la tête, si encore cette dame avait fait un effort de coquetterie en allant se faire coiffer pour cette sortie, ce qu’elle ne manque jamais de faire les rares fois où elle se rend dans des festivités extérieures, mais pour cette excursion, que nenni, pas de frais de toilettes.
Pour me conforter dans mon raisonnement vis-à-vis de mon héroïne, quelques jours après le déroulement de cet événement, quand j’ai rencontré sa fille Joëlle, nous avons indubitablement discuté de cette non aventure après qu’elle m’ait remercié de mon attention envers sa maman. Je ne pouvais pas ne pas l’informer de mon étonnement à la non présence à ce baptême suite aux propos préalables tenus par sa maman. Ce revirement me réjouissait bien sûr, mais cette dame aurait dû m’informer de ce changement, mais pour toute réponse elle me fait :
- Je suis très heureuse de l’avoir décidé à nous accompagner.
De là, ma stupéfaction. Pourquoi ne pas m’avoir averti du revirement de cette décision, pour confirmation de la négligence ou de l’oubli de l’information quand j’ai narré mon histoire à Fathia ? La femme de ménage travaillant chez notre héroïne m’a expliqué qu’elle aussi n’avait pas été informée de ce changement. Me confirmant dans mes certitudes de ne pas avoir été avisé.
Ce 27 février 2021, je reviens derrière ce clavier pour relater comment j’ai dévergondé cette madame de 96 ans, à ses dires. Et oui, cette dame est née en 1925, le 27 février.
Ce matin, en sonnant à sa porte afin d’accomplir ma livraison de pain, j’étais loin de me douter du délicieux moment que cette visite me ferait vivre. À peine avais-je franchi le seuil que cette dame m’annonce :
– Monsieur Duhard (et oui, depuis plus de 20 ans, elle reçoit toujours avec des Monsieur Duhard) : aujourd’hui, je fête mes 96 ans !
Ma réponse fusa !
– Alors là, nous allons boire un verre pour arroser cet événement !
Delà sa surprise
- Mais Monsieur Duhard, je ne bois pas à cette heure matinale !
— Pour une fois, vous allez déroger à vos principes, nous allons trinquer de suite.
Connaissant mon goût du matin, elle me rétorque.
- Je n’ai pas de vin blanc.
- Qu’à cela ne tienne, on va boire du vin rouge ! Que vous le vouliez ou non ! Nous allons trinquer !
Faisant preuve de bonne volonté, elle se plia à ma requête en sortant une bouteille de son vin, celle qu’elle met sur la table pour son ordinaire.
— Que nenni, Madame, nous allons déboucher une de vos bouteilles.
Joignant le geste à la parole, je vais dans l’annexe et reviens avec une bouteille de sa réserve. Je me délectais de la voir et de l’entendre rire, m’objectant avec des mimiques d’une personne effarouchée quand je lui ai tendu ce verre de rouge. Un fond de verre, n’exagérons rien.
Lors de cette dégustation, je n’ai pu que lui répéter ma réflexion de toujours.
– Madame, rajeunissons-nous : il y a 60 ans, vous et moi, nous étions aux antipodes de la hiérarchie sociale. Vous à la fenêtre du château et moi en bleu de travail entrant dans les ateliers (chose possible). Une précision, si on nous avait réunis pour nous aviser de cette prédiction :
Dans soixante ans, vous, madame, épouse du directeur d’un établissement des plus prestigieux de cette époque, le C.E.A, dégusterez un verre de vin rouge à onze heures du matin en tête à tête pour fêter l’anniversaire de vos 96 ans avec un gamin de seize ans, ouvrier travaillant dans un atelier en tant qu’ajusteur. Elle n’est pas belle, ma petite histoire !
merci Yves, c’est toujours un grand plaisir de te « suivre » ….
Amicalement. Bertrand.