Deux cérémonies, du fait de leur déroulement, m’ont apporté une certaine sérénité. Aucune similitude autre que les intentions entre ces deux événements, ne seraient-ce que les sites. Pour l’un, un ancien village, pour l’autre, une cité populaire construite dans le centre-ville de Tours.



Les décors, une église du douzième siècle et l’autre, contemporaine de notre architecture. Je n’ai pas besoin de vous rappeler mon attirance pour les monuments qui sont la base de nos villages. Ceux-ci ont plus ou moins retenu mon attention par leurs caractéristiques. Ma préférence va vers les églises du style roman, la chance a voulu qu’un de ces monuments soit érigé dans la commune, au lieu du caveau de la famille de tante Madeleine, une sœur de maman qui nous a quittés la veille de ses 90 ans.
Compte tenu de mon âge, j’ai assisté à de nombreuses cérémonies rendues aux défunts. Celle-ci m’a interpellé comme une des plus belles célébrations du genre. Pour le décor, une église du XIIe siècle, comme célébrant, deux femmes qui nous ont offert un service religieux d’une simplicité (du moins ce que j’ai ressenti) digne des réunions organisées par les premiers chrétiens.
Dans cette atmosphère, il a été lu ces pages écrites par David, son petit-fils, et narrées en duo avec une de ses cousines. Cette saynète des plus émouvantes, rien que de normal, la conteuse exerce en tant que clown dans les hôpitaux de pédiatrie : Tours, Orléans, Vierzon.
« Tu es revenue hier soir, j’ai trouvé cela un peu bizarre, puis je me suis dit : profite encore un peu. Nous avons été gâtés de t’avoir aussi longtemps à côté de nous, mais après tout, encore un instant, pourquoi pas. Nous nous sommes assis à Chemillé, dans la cuisine, chez tes parents… Déjà la cuisine… On y reviendra.
Tu me parles de ton père, Raoul, de sa vie incroyable, tour à tour… Vagabond en Espagne à 16 ans, maçon, traversant l’Europe, Zouave durant la Guerre aux Dardanelles… Ensuite entrepreneur, pompier volontaire… Bref, un personnage de livre dont tu racontes souvent l’histoire. La vie, ses hasards… Il rencontre ta mère Marie, arrivée de Bretagne en tant que bonne à Chemillé autour d’un puits.
À quelque chose de suranné, rares sont les rencontres maintenant autour d’un robinet. À ce moment, tu lèves les yeux vers moi avec ce regard exaspéré… Oui, je sais, cette remarque est inadaptée, mais j’aime tant voir ce regard… Ta mère, quelqu’un d’aussi exceptionnel, courageuse, débrouillarde, faisant à manger pour la famille, les employés de ton père et ces gens de passage. Tout est déjà là : accueil, bienveillance et cuisine. Ton père, qui conduit une voiture pour la première fois, se retrouve au fossé. Alors, il paie le permis et une voiture à son beau-frère pour qu’il puisse l’emmener à ses chantiers. Y a-t-il des gènes pour savoir conduire ? Cela expliquerait bien des choses pour moi… Encore tes yeux… Oui, je continue, je t’écoute.
Ta mère qui te disait avoir vu toutes les fesses du village, elle faisait gratuitement des piqûres jour et nuit, et même sous couvre-feu pendant la guerre. Le métier a bien changé, quant aux fesses du village… Oui, oui, j’arrête Mamie. Tes sœurs, tes chères sœurs, elles t’ont accompagnée jusqu’à la fin. Tu me demandes encore : tu es allée au café chez Jeanne ? Tu me racontes encore que tu portes Mylène Demongeot sur tes genoux et qu’elle joue avec Marie-Claire. Tes sœurs arrivent, je me mets de côté dans un coin, et je vous regarde, toutes les trois, dans une complicité unique, parler du village, des commerces, des gens qui paraissent légendaires comme l’institutrice, le curé… Et puis l’école qui n’était pas ton fort, mais le théâtre, le basket, les amis, les bals beaucoup plus. Un jour, après-guerre, avec ton oncle, tu pars à vélo de Chemillé vers Theillay… 120 km à vélo de l’époque, avec les routes de l’époque, et tes mollets de l’époque ! Tu retrouves ta tante et rencontre Lucien. Y a-t-il un signe du zodiaque pour certains : la bicyclette, j’en suis sûr. Lucien, tu le suis à Theillay puis Vierzon. Là aussi un personnage de livre, plutôt du Zola d’ailleurs. Les temps sont durs, plutôt Germinal que le Bonheur des Dames. Arrive ton fils, que tu chéris… D’ailleurs, les voisins pensent que tu avais une dizaine d’enfants, tu en avais toujours une pleine cour ! On te ramène un jour ton fils… Il était parti par la fenêtre à deux ans. Tes belles-sœurs, tes beaux-frères, tes cousines, tes cousins, tes nièces, tes neveux, tu les accueilles tour à tour, à tout âge, pour les vacances, pour manger, pour dormir… Tu les chéris du plus fort de ton cœur… Tous ces moments, avec eux, à La Riche, à la Rabatterie… Tous ces voisins, ses amis… Il y en a tant !
Papy s’apaise à Joué-lès-Tours et une autre génération arrive… Bernadette, ta belle-fille, tes petits-neveux et moi aussi. Je découvre tes talents : la cuisine, la couture (du costume de cow-boy au manteau, à la réparation de jeans achetés déchirés… À ton grand dam), et ton tempérament !!! Tu as quand même envoyé les lettres du scrabble à la figure de papy « Non Lucien ! Le dictionnaire ne se trompe pas !!!! ». Puis, papy disparaît subitement. Tu te reconstruis entre Tours et Vierzon, où tu t’installes auprès de ta famille, de ta chère belle-sœur Solange, mais aussi ta voisine Martine… Non pas le personnage de BD mamie !!! Oh ce regard que tu me lances encore… Et puis tes petits secrets, notamment, ces colis et étrennes envoyés pendant 20 ans à quelqu’un dans le besoin et que tu n’as jamais réellement vu, mais avec qui tu échangeais par lettre… Et dire que moi, j’attends toujours ma Porsche !!!!
Le vélo t’accompagne jusqu’à tes 90 ans au moins, tu voyages, tu joues aux cartes et tu fais à manger… Un inventaire à la Prévert… Rappelle-toi pour tonton Michel et Pierrot, tu avais fait plus de 6 litres de crème anglaise. Tu souris… Ils avaient chacun un saladier ! Arrivent tes arrière-petits-enfants, et tu demeures la même : patiente, douce, attentionnée. Nos repas hebdomadaires avec ta célèbre blanquette, ta quiche, tes œufs à la neige, tes frites et la crème à la pistache, seule entorse au fait-maison, mais ça nous rappelle tellement de souvenirs…Tu te lèves, le regard triste que l’on a rarement connu, un sourire hésitant. Tu vas t’asseoir dans ton fauteuil, celui de ta salle à manger qu’on n’arrêtait pas de recoller les accoudoirs et tu t’endors paisiblement.
Tu as eu une histoire simple, en tout cas, tu l’as rendue ainsi. Ce petit résumé est tellement imparfait, mais nous y avons tous une place, car tu nous en donnais une à tous… Si je devais conclure, mais je ne le ferais pas, je dirais que tu m’as appris beaucoup, notamment que ce qui a vraiment de la valeur ne s’achète pas, il se donne et qu’il est bien ridicule de vouloir expliquer les choses, le pire étant de donner un sens à ce qui n’en a pas.
À demain, mamie.
David

Pour ce qui est de ma deuxième narration, un tout autre environnement comme le montrent les photos, une cité de quartier « les sanitas » sise dans le centre de Tours, des immeubles HLM avec en leur centre l’église SAINT-PAUL contemporaine.

Un tout autre décor ?
La maman d’un de nos amis étant décédée, nous avons assisté à la messe précédant l’inhumation de cette dame. Là encore, une cérémonie d’une simplicité remarquable. Il y avait pour accompagner ce corps, excusez du peu : 16 curés. Pas des pontifes, des curés venus avec, dans une petite valise, leurs vêtements sacerdotaux qu’ils ont passés sur le parvis de l’église en arrivant, et qu’ils ont quittés à la fin de la cérémonie. Ils sont repartis incognito comme ils étaient arrivés.
Ces prêtres ont assisté le curé de la paroisse comme simples officiants, ce qui a donné un spectacle d’une simplicité des plus pondérées. Il s’est passé plus de vingt ans entre ces deux offices, dans deux églises bâties avec un laps de temps de 800 ans.
Mon émotion, pour ne pas être moindre, m’a interpellé, surtout dans l’église de Méreau, me ramenant aux balbutiements d’une religion naissante. Il faut croire qu’il reste quelque chose de mon ondoiement le lendemain de ma naissance.
On ne badinait pas chez nous, question rites religieux, n’est-ce pas maman !
Comme quoi peu importe l’année de construction du « véhicule » emprunté pour accompagner l’Ame du défunt vers l’au-delà ….
Au fil des 800 années d’écart, la composition de son écologique carburant demeure, subtile combinaison d’Amour et de Piété …