LA DINDE DE NOEL1961

Cette nouvelle narration, bien que je l’aie toujours gardée en mémoire, ne s’était pas imposée comme devant être écrite. Il a fallu une conversation avec Anick, une cousine de Danièle, au sujet de son mariage dans la ville de Vendôme, localité de la résidence de son futur époux. L’énumération des différents lieux où la cérémonie s’est déroulée, le mariage civil à la mairie, ce très beau monument appelé la porte saint Jacques enjambant la nationale 10 à l’entrée de la ville, la célébration religieuse dans l’église sainte-Madeleine, les agapes et les festivités se sont déroulés dans un établissement, l’hôtel du château. L’évocation de cet endroit a réveillé en moi un événement qui s’était déroulé fin décembre 1961.
Jean, mon aîné, venait de réussir à son examen de permis de conduire. Fort de cette nouvelle aptitude, il fut chargé ce dimanche après-midi, jour du déroulement de cette aventure, par nos parents de prendre livraison de la dinde de Noël commandée dans une ferme d’un village voisin de Chemillé, Neuvy le roy, situé à 10 kilomètres au sud-ouest est de notre village.
Et delà commencent les événements de cet après-midi rocambolesque, alors que nous devions être trois, le chauffeur, plus deux passagers : Henri Laurendin un ami de la famille, et moi.
Henri, un peu plus âgé que nous, était aux yeux de papa et maman, une garantie du sérieux de l’expédition, ce qui s’avéra illusoire. Je ne sais plus qui a pris l’initiative de ce changement d’objectif, mais une chose est certaine, le déroulement de cette expédition a pris une autre tournure que celle prévue. En traversant le centre du bourg de Chemillé, nous avons invité à se joindre à nous deux autres copains, Roger Massé et Michel Morancé, nous voilà cinq jeunes hommes un peu gamins partis en goguette.
Laissés à notre initiative, nous oublions le but de cette escapade : récupérer la dinde de Noël. Nous décidons de nous rendre dans un bar sis à la Chartre-sur-le-Loir. 10 kilomètres, direction le nord, nous étions des habitués de cet estaminet, car les dimanches après-midi, il y avait un batteur et un guitariste (celui-ci avait le type Cubain) qui marquaient le tempo, ce qui nous permettait de danser une bonne partie de la soirée avec peu d’argent, une bouteille de Jasniéres suffisait comme règlement.


N’étant vraisemblablement pas satisfaits de l’ambiance de cette petite boîte (nous nous en serions contentés si nous étions venu à vélo comme d’habitude), mais ce jour-là, il nous fallait faire mieux !! C’est pourquoi nous sommes repartis vers d’autres lieux, Montoire-sur-Loire, 20 kilomètres à l’est dans un autre dancing, mais celui-ci ne nous a pas encore enchanté, alors pourquoi ne pas continuer notre périple via Vendôme à 20 kilomètres nord où nous avons atterri dans le château de Vendôme où une salle de danse avait été aménagée, ce château évoqué plus haut.
Mais de cet endroit découlent les événements qui vont justifier la suite de cette histoire. Il ne devait pas être bien tard, mais à cette époque de l’année, entre Noël et le 24 décembre, il fait nuit comme chacun sait très tôt dans la soirée, ce qui n’a rien arrangé pour la suite des aléas. Nous avions repris nos places dans la traction de la famille pour rentrer dans notre village, déjà à ce moment précis, notre situation n’était pas dans la légalité, nous avions complètement dérogé aux directives de papa et maman, récupérer la dinde de Noël.

Déjà à cet instant, je ne sais quel alibi nous aurions pu fournir afin de nous justifier pour tout ce temps d’absence, bien ou mal ? Mais les événements suivants se sont chargés de nous exempter de futures affabulations.
Le plus scabreux de cette escapade était à venir. Nous étions remontés en voiture pour le retour quand celle-ci refusa de démarrer. Ce n’était pas une panne de moteur, lui, il tournait bien. La raison de ce refus d’avancer, suite à notre diagnostic était évidente, bien que nous ne soyons pas plus mécaniciens les uns que les autres, le câble articulant l’embrayage était cassé. Il était impossible de nous faire dépanner un dimanche soir, à l’époque les assurances comme Europe assistance n’existaient pas encore. Il a fallu nous résoudre à téléphoner à la seule personne pouvant nous sauver de ce mauvais pas, c’est-à-dire papa. Quand je dis téléphoner à papa, je vais un peu vite, car en « ce temps-là », il n’y avait pas de téléphone et de loin dans tous les foyers, les cabines téléphoniques n’étaient pas encore en service, ne parlons même pas de portables, pour eux, il fallait attendre encore quelques décennies avant leur arrivée sur le marché. Le seul des protagonistes de la bande ayant ce moyen de communication était Roger Massé, ses parents tenant un hôtel-restaurant.
Pour commencer, nous avons dû sonner chez des particuliers en les priant de nous autoriser à utiliser leur combiné pour annoncer aux parents de Roger notre avatar, afin qu’ils aillent donner l’ordre à papa de venir nous récupérer. Il s’est avéré que notre explication orale n’était pas très explicite ou peut-être mal comprise par l’interlocuteur : à l’autre bout du fil, une chose certaine, papa et maman étaient dans une très grande colère, d’autant plus qu’ils étaient très angoissés.
Cette angoisse n’était pas feinte, il faut croire comme je l’énonce plus haut, l’explication de cet incident que mécanique, n’avait pas était comprise en tant que telle ; nous aurions mal formulé cet événement en le présentant, ce qui a semé le trouble dans l’esprit de nos secouristes. C’est en indiquant l’endroit de notre mésaventure (au carrefour de la RN 10 et la route de Montoire). Ce lieu précis, nommé « croisement » créa l’inquiétude de papa et maman, pensant à un accident. Nous l’avons su après, quand la colère fut retombée, pour le moment, à l’arrivée de nos sauveteurs, très énervés, nous nous tenions penauds, Henri l’ancien du groupe s’est avancé vers la camionnette. Par malheur pour lui, son visage était marqué par des traces de cambouis suite à notre auscultation du moteur, pour dédramatiser, il annonça à maman que la dinde s’était envolée et que nous l’avions suivi. Pensant qu’il s’était grimé pour faire le pitre maman, l’a giflé quand il a pointé sa tête à la vitre de la portière, celle-ci étant ouverte, je dis ouverte et non baissée, car cette fourgonnette, un tub Citroën « type H » (le véhicule du feuilleton Louis la brocante) avait une particularité, les vitres de véhicule, ce qui ne se fait plus aujourd’hui, ceux-ci glissaient d’avant en arrière. Ce mauvais moment passé, je parle de la confrontation des parents et des insouciants que nous étions.

Papa décida que Jean prendrait le volant du fourgon et qu’il remorquerait la traction conduite par lui pour rentrer au logis. C’était sans compter avec la température négative de cette fin du mois de décembre, il faisait aussi froid dans le véhicule tracté qu’à l’extérieur. Je pouvais en être juge, car j’avais pris place pour ne pas laisser seul le chauffeur. Le moteur ne pouvant tourner, pas de chauffage, ce qui nous obligea à laisser la voiture en panne dans le premier hameau traversé du nom de Villaria entre Vendôme et Montoire, ce qui nous obligea à revenir le lendemain pour récupérer l’objet de tous nos malheurs.
Comme d’habitude, papa, le lendemain, ne manifestait aucune véhémence.
J’espère que ce Noël sera plus reposant.
Passez de joyeuses fêtes.
Michel Morancé, Roger Massé, que de souvenirs. Mais malheureusement, ce n’est pas le temps qui passe … c’est nous qui passons …