Les petites histoires qui ont agrémenté ma carrière agricole.
Ce cliché, seul témoin de mes promenades ; depuis, ils ont abattu les arbres et tué les bovins.
Dans mes premières années de représentant en vente de machines agricoles, il m’avait été alloué, entre autres, un secteur de prospection dans le Chinonais : « Le Néman ». J’ai été frappé par les comportements des habitants de ce coin de la France profonde. Je médis peut-être en focalisant les rites de ce petit fief, néanmoins, il est vraisemblable qu’il y ait sûrement dans notre hexagone d’autres régions où il se passe les mêmes événements.
Le Néman est situé entre la Loire et la Vienne, à quelques kilomètres du confluent de ces deux rivières (« bec des deux eaux »), là où se trouve la centrale nucléaire de Chinon. Ce lieu-dit est un coin de verdure, un bocage de prairies délimitées par des haies. Les fermes, contrairement à beaucoup d’endroits, ne sont pas rassemblées en hameaux, elles sont isolées les unes par rapport aux autres. Les paysans habitant ces fermes vivaient presque en autarcie. Mon travail de prospection m’a permis de rencontrer ces ruraux et de prendre connaissance d’événements, de rites que j’étais loin d’imaginer.
Dans une de ces fermes, vivaient un couple de septuagénaires avec un fils célibataire cinquantenaire. Dans ce milieu familial, un genre de vie avait été instauré. Ces résidents étaient les dignes représentants des ruraux vivant à leur façon. Un mode de vie que nous avons oublié, citadins que nous sommes devenus, ces propos ne sont évidemment pas péjoratifs. Je ne porte aucun jugement, je ne relate que des faits dont je fus le témoin dans l’ensemble immobilier formé par les bâtiments de l’exploitation.
La maison d’habitation ne se différenciait guère des autres bâtiments, que ce soit l’étable, l’écurie du cheval, les clapiers ou la soue aux cochons, les volailles s’ébattaient en toute liberté dans la cour. Hé oui, ce devait être une des dernières petites exploitations agricoles où le tracteur n’était pas encore de mise.
Ce qui m’a étonné, ce n’est pas cette non-motorisation, mais le décor dans lequel ces braves gens vivaient. Pour négocier, il m’a fallu faire plusieurs visites et la chose la plus étonnante, c’est que jamais je n’ai vu la table débarrassée. J’en déduis, j’en suis presque sûr, que ces gens prenaient leurs repas dans les mêmes assiettes. Les verres étaient de la couleur du vin. J’ai pourtant bu dans beaucoup de caves, mais je crois n’avoir jamais vu de verres aussi « culottés ».
Les aliments de base, le pain, les condiments, tous les reliefs du repas précédent attendaient le retour de ces travailleurs des champs pour être dégustés au repas suivant et vraisemblablement, ce mode de vie était l’habitude. La vaisselle devait resservir sans aucune préparation, chaque personnage avait son assiette, sa cuillère, son couteau, sa fourchette à une place bien déterminée. Pour eux, ce mode d’existence était on ne peut plus normal. Vous le croirez ou pas, je me sentais très bien au contact de ces clients.
Dans ce même petit coin de bocage, il m’est arrivé une autre anecdote qui me laisse un souvenir non-comparable, quoique ! La particularité de cette fermière était de laisser les allumettes ayant servi à allumer le gaz sur sa gazinière. Il y en avait tellement, c’est pourquoi, mon attention fut attirée par ce monceau de petits bouts de bois blanc et noir. Toutefois, ce n’est pas ce comportement qui m’a étonné ; je ne suis pas regardant sur le mode de vie de mes contemporains.
Ce qui m’a le plus choqué dans cette ferme : ma première entrée dans la cour. Une cour fermée, identique à toutes les cours des fermes dans le voisinage. Je suis entré dans la propriété pour faire mes offres de service, descendant de ma voiture, je ne savais pas pourquoi, mais il y avait une bizarrerie. Quelque chose m’interpellait dans cet endroit fermé, je ne comprenais pas, pourquoi tout me paraissait normal, mais j’ai mis un petit temps à réaliser.
Mon attention avait été retenue par le comportement de ce que j’avais pris pour un chien. Cet animal était allongé sur la partie basse d’une porte d’écurie. Ces portes s’ouvrent en deux parties, une partie haute et une partie basse, ce qui fait que cet animal se trouvait juché à une hauteur d’un mètre au-dessus du sol, en équilibre sur une arête. Dans le subconscient d’un « gamin » comme moi qui a été élevé à la campagne, ce qui me dérangeait, c’était le comportement de ce que je prenais pour un chien. J’ai repris mes esprits quand je me rendis compte que ce canidé était bien un canidé, mais pas un chien, d’où ma confusion dans ma première réaction. C’était un renard apprivoisé qui se reposait en me regardant de son œil rusé et perçant. Je garde encore en mémoire cette petite anecdote qui me permet de constater combien nous sommes formatés.
Toujours dans le même canton, après avoir traversé la Vienne, dans un autre village : Ligré ; petit village où des producteurs de vin de Chinon ont une très bonne réputation. Aujourd’hui, quelques-uns de ces exploitants se sont mis à la culture des truffes, en plantant des chênes truffiers. Les événements relatifs à ma narration se sont déroulés il y a 40 ans, pas 150 ans comme nous pourrions croire.
La ferme où se sont déroulées ces deux anecdotes était peuplée par une famille composée de quatre générations. Il y avait des aïeux très âgés et des enfants très jeunes. Comme dans les histoires précédentes, la ferme était ceinte de murs. Nous pénétrions dans le clos de cette cour par un portail vert en général fermé, ne s’ouvrant que pour livrer passage aux visiteurs et qui était refermé dès notre entrée, donnant une ambiance feutrée. Je me sentais comme isolé du monde extérieur, ce qui n’était pas pour me déplaire.
Lors d’une de mes visites, le paysan travaillait dans un champ. Son travail consistait à biner des betteraves. Pour discuter de notre futur marché, je me suis rendu sur son lieu de labeur. Sur mon parcours à travers ce champ, il me fallait enjamber des taupinières, ce qui me fit dire au bineur de betteraves, pour entamer la conversation, qu’il était entouré de taupes. C’est la réponse de cet homme qui me propulsa dans un monde que je croyais ne plus exister depuis au moins deux ou trois siècles. Ce monsieur me confessa qu’il avait attrapé une de ces taupes, car un vieux rite voulait qu’un enfant qui avait la chance de pouvoir étouffer entre ses mains une de ces créatures, serait l’heureux bénéficiaire d’une chance qui l’accompagnerait tout au long de sa vie. Fort de cette conviction, il s’était livré à ce sacrifice en faisant étouffer sa prise par son fils qui devait être âgé au maximum de cinq ans.
Un autre événement du même acabit est resté dans ma mémoire. Un matin, après être entré dans l’enceinte de la ferme, le portail repoussé, je constatai que les bâtiments construits en tuffeau de la région, c’est-à-dire de couleur blanche, étaient mouchetés de couleur rougeâtre, comme du sang frais. Ne comprenant pas ce qui se passait et voyant mon air étonné, le maître des lieux m’expliqua qu’une de ses vaches étant en chaleur, devait être saillie par le taureau. Les deux animaux étant en liberté dans l’enclos que formait l’ensemble des bâtiments et pour faciliter la saillie, il avait voulu couper le toupet du bout de la queue de la vache à l’aide d’une serpe. Manquant d’adresse, il avait raté son coup en coupant l’extrémité, entamant la partie osseuse, ce qui occasionna l’hémorragie, cause de ce mouchetis couleur sang.
J’ai appris après ces faits, en les relatant à un autre paysan, que la raison évoquée par le « bourreau » n’était peut-être pas la bonne raison. Il existait des gestes convenus pour la réussite de la saillie d’une vache à l’instant où le taureau transmettait sa semence à la vache. Il n’était pas rare d’employer des méthodes qui nous semblent d’un autre âge : soit lui jeter un seau d’eau froide sur les reins, ou comme mon « bourreau », lui trancher l’extrémité de la queue. Ces pratiques avaient pour but de provoquer (une contraction des reins) une réaction de la bête réceptive pour accentuer la chance de la réussite de la saillie.
Ben merdre alors, quand qu’on y pense !!
De ce rite de coït, j’en reste tout coi !! FR